Souverainté Nationale Turque et Génocide Arménien
Ragip Duran
La Turquie officielle célèbre le 23 avril la Fête de la Souverainté Nationale et des Enfants.
Une grande partie de la communauté internationale, à commencer par l’Arménie, toute la diaspora arménienne sur les 5 continents et plusieurs instances politiques y compris le Parlement Héllenique commémore le 24 avril, le 110ème année du Génocide Arménien.
Le 23 avril 1923, Moustapha Kémal, vainqueur de la ‘’Guerre d’İndépendance’’ avait inauguré à Ankara, nouvelle capitale du nouvel Etat, la Grande Assemblée Nationale de Turquie, organe suprême qui détenait les trois pouvoirs: Le législatif, l’éxecutif et le judiciaire. Kémal, était également le chef des forces armées.
‘’La souverainté nationale’’ n’était pour Kémal que l’élimination politique sinon physique de l’ensemble des populations non-turques, non-musulmanes et voire celles des musulmanes de secte alévi.
102 années plus tard, c’est à dire aujourd’hui, le Président Erdogan est en pratique aussi bien équipé politiquement que Kémal des années 1920. La continuité est un élement essentiel de l’Etat!
Le 24 avril 1915, donc à peine 8 ans avant la déclaration de la République turque, plus de 2000 arméniens d’Istanbul, chefs et porte-paroles de la communauté, hommes politiques, journalistes, écrivains et intellectuels ont été arrêtés sous les ordres de Talat Pacha, ministre de l’Intérieur de l’Empire Ottoman. Ces arméniens ont été éxilés vers Anatolie Centrale et la majorité des membres de ce groupe a été assassinée sur la route. 24 avril est donc, selon les arméniens le début du Génocide.
Ces deux dates, le 23 et le 24 avril sont intimement liées l’une à l’autre. Car ce fut le génocide arménien qui a ouvert la voie à la création de la République turque. Le pouvoir politique de l’époque (1908-1918), c’est à dire le Comité de l’Union et du Progrès (CUP), tout comme leurs successeurs les Kémalistes, croyait que la seule solution pour sauver la nation turque en faillite, était de créer un Etat-Nation. Ce dernier se définit comme ‘’une seule nation, un seul drapeau, un seul Etat, une seule langue’’. Le Prof. Hans-Lukas Kieser, grand historien de cette époque écrit que l’objectif du CUP et des Kémalistes plus tard, était ‘’de neutraliser et de chasser toutes les populations non-musulmanes et non-turques de l’Anatolie’’. Donc les arméniens, les grecs, les assyriens, le chaldéens, les juifs d’abord et plus tard les kurdes, les alévis et les arabes devraient être turquisés ou chassés de l’Anatolie. Les idéologues du CUP et du Kémalisme, croyaient que les non-turcs et les non-musulmans de l’Empire agissaient comme la Cinquième Colonne des puissances étrangères, en particulier de ‘’la France et de la Grande Bretagne qui désirent diviser et coloniser l’Empire’’. La direction du CUP était profondément pro-Allemand.
L’interdépendance entre le 24 et le 23 avril a été mainte fois demontrée par des faits et déclarations des officiels. Talat Pacha, nommé l’architecte du génocide par les historiens et arméniens, est encore vu par l’Etat turc comme ‘’un grand héros national’’. Plusieurs dizaines de boulevards, de places publiques et de rues en Turquie portent aujourd’hui le nom de Talat Pacha.
Les relations d’amitiés politiques entre Talat Pacha et Moustapha Kémal sont bien exposées dans la correspondance de ces deux personnalités. ‘’Talat Pacha a nettoyé la route devant nous’’ a-t-il affirmé à sa veuve selon le journaliste-historien Murat Bardakci.
Le Ministre de la Défense Nationale M.Vecdi Gonul avait déclaré en novembre 2008 à Bruxelles la relation entre les génocides et la création de l’Etat-Nation turc: ‘’S’il y avait encore des roums en Egée et des arméniens dans les autres régions de la Turquie, est ce qu’on pourra avoir le même Etat national?’’.
Cette relation très intime et très forte entre le 24 et le 23 avril oblige les officiels turcs à faire une grande opération d’agitation et de propagande à propos du 23 avril et à se taire voire à renier le 24 avril.
La République turque d’aujourd’hui, 102 ans après sa création, n’est toujours pas capable de faire face à son propre histoire. 31 gouvernements ou parlements, y compris la Grèce ont déjà officiellement reconnus le Génocide Arménien de 1915, seule la Turquie et l’Azerbaidjan renient ce fait tragique. (FIN/RD)