KMS-GEOPO-23NOV06-01F
L'alliance Washington-Hanoi :
nouveaux bouleversements en ex-Indochine
La tenue du sommet de l'APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) en ce mois de novembre 2006 à Hanoi «est le plus grand événement international jamais organisé par le Vietnam», a fait remarquer le vice-ministre des Affaires étrangères vietnamien, Lê Cong Phung. Le sommet a été surtout marqué par l'annonce retentissante par le Vietnam de sa nouvelle alliance avec les USA, lui conférant un « nouveau rôle dans la région ». C'était aussi une occasion pour la Chine populaire de jauger une fois de plus si cette alliance peut menacer sa sécurité et ses intérêts en Asie du Sud-Est. Ce qui est certain, la nouvelle alliance entre Hanoi et Washington ne manquera pas, sur le fond des problèmes de la mondialisation économique, de remodeler le paysage politique de l'Asie du Sud-Est et, d'abord, celui de la péninsule indochinoise.
Comme une évidence, George W. Bush ne tarit pas d'éloges sur le « changement » du régime de Hanoi, pour avoir diminué la répression religieuse, mis fin - sur le papier - aux emprisonnements sans jugement des dissidents et, en particulier, réformé son infrastructure économique. Hanoi, dit-il, « a sauté le pas sur le passé, en cherchant à nouer de plus étroites relations avec les Etats-Unis ». George W. Bush a ainsi appelé d'autres pays de la région à « suivre l'exemple du Vietnam ». Dans un autre sens, c'est aussi l'annonce d'un premier triomphe de la diplomatie bushienne en Extrême-Orient, une diplomatie bien ternie par ses douloureux et coûteux échecs en Irak et au Moyen-Orient.
De son côté, le chef du parti communiste du Vietnam, Nong Duc Manh, avait auparavant exhorté les USA à "mettre le passé de côté et regarder vers le futur" afin de fonder "une coopération complète"entre les deux pays. Ainsi, sans attendre que le Congrès US ait accepté de voter pour le Vietnam l'autorisation des « relations commerciales normales et permanentes, (PNTR) » avec les USA, la firme américaine des hautes technologies de l'information INTEL a porté immédiatement son investissement vietnamien de 300 millions de dollars à 1 milliard. Evidemment, une centaine d'autres compagnies américaines se sont déjà installées au Vietnam, mais l'investissement d'INTEL, outre son aide socio-économique dans la formation et la création de l'emploi, apporte au Vietnam un outil hautement politique en matière de surveillance de l'information et des activités civiles et militaires dans le pays et dans toute la région.
Les Américains savent pourtant que l'infrastructure économique vietnamienne est encore pauvre, avec des routes, des ponts, des chemins de fer et des ports maritimes ne répondant pas aux exigences des transports modernes. Le manque de main-d'œuvre technique qualifiée est un autre handicap du Vietnam. Par contre, le pays doit répondre au besoin de l'énergie électrique dont la consommation est doublée tous les cinq ans pour faire tourner les milliers de nouvelles petites usines et des millions d'appareils ménagers comme des réfrigérateurs, des climatiseurs, des ordinateurs... Pour pallier à ces problèmes de mise en place d'une nouvelle infrastructure économique et de besoin d'énergie , Hanoi n'a pas hésité à s'approprier des terrains des paysans et des « montagnards », de les repousser de force vers les hautes terres incultes, de construire des dizaines de barrages hydroélectriques, dont celui de Son La, en causant des inondations désastreuses pour les populations environnantes - jusqu'au Laos et au Cambodge -, en les rejetant ainsi dans la misère et en réprimant durementtoutes protestations.
Les protestations ne s'arrêtent pas là. Les dissidents de l'intérieur et les opposants de l'extérieur réclament plus de libertés d'expression et de réunion, la libération de tous les prisonniers politiques, l'abandon du monopole du parti communiste et l'organisation des élections libres . Mais, au moment même du sommet de l'APEC, les dissidents résidant à Hanoi et à Ho-Chi-Minh-Ville font savoir à la presse internationale qu'ils sont forcés de rester cloîtrer chez eux par l'intimidation et la violence de la police. « J'ai été battu plusieurs fois vendredi (17 novembre) par la police" a déclaré à l'agence AFP le docteur Pham Hong Son, libéré en août dernier après avoir passé plus de quatre ans en prison pour avoir « espionné le gouvernement » et diffusé sur Internet des écrits prônant la démocratie au Vietnam . Sur ce problème, la presse occidentale est unanime pour dire que les retrouvailles viêtnamiennes de George W. Bush sont motivées plus par des considérations commerciales et stratégiques que par sa volonté - antérieurement déclarée - de promouvoir la démocratie au Vietnam.
La nouvelle alliance vietnamo-américaine s'est nouée visiblement pour contrebalancer la montée de la puissance militaire (et économique aussi) de la Chine populaire dans la région. En juillet dernier, des généraux américains ont discuté avec leurs homologues vietnamiens la possibilité de conduire ensemble des manœuvres militaires. L'ex-ministre de la défense Donald Rumsfeld a fait grand bruit de sa dernière visite à Hanoi pour négocier l'usage par l'armée américaine des aéroports vietnamiens et du port en eau profonde de la baie de Cam Ranh, pour faire pression sur la flotte maritime de Pékin. Au début de novembre 2006, un magazine des anciens combattants américains annonce d'ailleurs le « retour » des GI's au Vietnam, cette fois-ci « pour entraîner les troupes communistes vietnamiennes, (lesquelles) ont un peu perdu la main, faute de n'avoir fait de guerre depuis 1979,… et qui vivent toujours, comme depuis mille ans, dans la peur d'une nouvelle invasion chinoise ».
Il est certain que le problème militaire de la nouvelle alliance Hanoi-Washington fait aussi l'objet des négociations de coopération entre Chinois et Vietnamiens, ces derniers temps et au moment du sommet de l'APEC à Hanoi où Hu Jintao a fait aussi une visite d'Etat de quelques jours. A l'issue des discussions entre le président chinois et les présidents vietnamiens Nong Duc Manh et Nguyen Minh Triet, la presse officielle de Hanoi a fait un grand étalage des dizaines de nouveaux accords de coopérations entre le Vietnam et la Chine populaire. Par contre, l'agence chinoise Xinhua en rapporte, non plus avec les mêmes envolées habituelles, mais avec des photos de sourires figés et un ton bien sobre, voire un dialogue de sourds entre les deux parties. La grande innovation de la fin, selon l'article de Xinhua, fut l'inauguration par les présidents chinois et vietnamiens d'un « site Internet sur les coopérations économiques et commerciales » entre les deux pays communistes.
Le lendemain, devant l'assemblée des représentants de l'APEC, Hu Jintao, dévoilant la stratégie chinoise, déclare que la Chine « continue de travailler avec d'autres pays à la coexistence harmonieuse dans le domaine politique, au développement commun dans le domaine économique, à l'enrichissement réciproque dans le domaine culturel, ainsi qu'à la confiance et la coordination mutuelles dans le domaine de la sécurité ». Pour cela, a souligné Hu Jintao, « la Chine à promouvoir la coopération économique régionale… et à accorder son aide et son soutien à d'autres pays en voie de développement ».
Depuis près d'un siècle, la politique extérieure des USA a montré une chose remarquable : ils ont gagné les grandes guerres mondiales, mais ont perdu toutes les petites, à Cuba, au Vietnam comme en Irak. Les Américains sont capables d'une vision globale de la situation mondiale ou régionale, mais ignorent les aspirations particulières des peuples ou des Etats d'une région ou d'un pays. Au Vietnam, Ho Chi Minh et ses héritiers n'ont pas eu et n'auront jamais la velléité d'attaquer, ni même de porter atteinte directement à la puissance chinoise, mais simplement de préserver leur indépendance de la Chine. Or, pour cette indépendance, la lutte du Vietnam, durant des siècles, est de se rendre assez fort en étendant son empire vers le sud et à l'ouest, au détriment dramatique des autres peuples environnants. D'ailleurs, dans leurs guerres contre les « impérialistes » de l'extérieur, depuis mille ans à aujourd'hui, les Viêtnamiens n'ont jamais eu besoin d'autres armées étrangères que les leurs.
Pour les successeurs de Ho Chi Minh, leur principal objectif est la préservation de la domination du Vietnam sur le Laos et le Cambodge, lesquels , pour diverses raisons, ne semblent pas résister à l'influence grandissante des « investissements » de Pékin. Autrement dit, Hanoi cherche à utiliser la puissance américaine pour réduire l'avance chinoise dans la région, l'aider à assurer la protection de la région stratégique bien connue du « Triangle de développement vieto-lao-khmer » et lui laisser les mains plus libres encore sur le Laos et le Cambodge. La réponse de Pékin est tout aussi claire : « la Chine continuera à accorder son aide et son soutien à d'autres pays en voie de développement », dont évidemment le Cambodge et le Laos - pays visité également par Hu Jintao, après son départ du sommet de l'APEC à Hanoi.
Hanoi ne changera pas grande chose sur son régime intérieur, contrairement aux espoirs des « pro-démocratie » vietnamiens ou américains. Le jeu actuel de ses alliances rappelle seulement et étrangement celui que la même Hanoi avait à choisir entre Pékin et Moscou, après le retrait de Washington en 1975. L'alliance Hanoi-Moscou a conduit alors au « remodelage » des pouvoirs dans la péninsule indochinoise au profit de Hanoi : l'élimination des neutralistes (du prince Souvanna Phouma) et de la monarchie au Laos, puis la guerre viêtnamo-khmer-rouge au Cambodge et la « leçon » chinoise aux portes du Tonkin. Aujourd'hui, l'alliance Hanoi-Washington risque de produire les mêmes chamboulements au Cambodge et au Laos, mais avec une Chine cent fois plus puissante (économiquement) qu'en 1975. Est-ce le prix de la « mondialisation » voulue par les Etats Unis d'Amérique dans cette région ?
MS-KMS – 23 Nov 2006