Full interview with Dominique Strauss-Kahn
Published: 11 June 2004 | Updated: 29 January 2010
Dominique Strauss-Kahn explains the outlines of his project for a
'sustainable Europe' in an exclusive interview with EurActiv.
Dominique Strauss-Kahn is a university teacher and elected French
socialist MP. He was France's Minister for the Economy, Finance and
Industry under the Jospin governemnt from June 1997 to November 1999.
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Monsieur Prodi vous a demandé de définir les contours d'une stratégie
de développement durable. Mais en fait, le document que vous présentez
est beaucoup plus ambitieux, plus large. Vous essayez de définir un
projet politique, un "mythe" comme vous dites ?
Ce qui est apparu très vite à la table ronde telle qu'elle avait été
constituée, c'est qu'il n'y avait pas de développement durable en
Europe (si on veut bien prendre ce terme de façon générale et pas
seulement dans son acception limitée) qui ne soit pas la
reconsidération de l'ensemble de ce qui constitue aujourd'hui l'Union
et de son avenir. Ce qui est en cause c'était bien la durabilité
("sustainability" en anglais) du modèle et donc le mandat pouvait être
lu de façon étroite, au sens traditionnel, ou pouvait être lu comme
une interrogation sur le caractère soutenable de tout ce que nous
avons créé. C'est à cette deuxième question que nous avons essayé de
répondre.
J'ai une question sur l'aspect développement durable et politique
environnementale de vos propositions. Est-ce que vous pourriez
expliquer ce que vous entendez par "un programme de convergence
écologique" ?
Il faut intervenir en amont sur les questions écologiques (comme
d'ailleurs sur les autres) et ne pas se contenter de réparations en
aval. Cela suppose que sur un certain nombre de sujets, les normes que
nous voulons atteindre aient été définies préalablement et que des
moyens soient mis à la disposition des Etats membres pour pouvoir y
parvenir, notamment concernant les nouveaux entrants pour lesquels les
difficultés sont les plus grandes. De la même manière que nous avons
été capables de mettre au point un programme de convergence économique
pour arriver de Maastricht à l'euro, on devrait être capable de
définir des objectifs à atteindre, des contraintes à exercer sur les
Membres, des bénéfices à retirer du fait de satisfaire ces
contraintes. Sur une période de dix ans par exemple, on peut imaginer
un programme qui organise la convergence écologique, c'est-à-dire en
fait la convergence sur un certain nombre d'indicateurs un peu
analogues à ceux qui ont été mis en avant lors de la convergence
économique et monétaire.
Donc vous êtes en faveur d'indicateurs en ce qui concerne le
développement durable
Oui, mais là le développement durable au sens environnemental.
J'ai aussi vu que vous êtes en faveur d'un Conseil "développement
durable". Dans le débat européen, on a plutôt parlé d'un "super
commissaire" à la compétitivité et l'industrie. Est-ce que les deux
vont ensemble ?
Oui, ça doit aller ensemble. Simplement il nous a semblé que c'était
un domaine dans lequel il fallait bien un Conseil, il fallait une
pluralité de voix, il fallait que les différentes ONG soient capables
de dire des choses, et que les grandes institutions qui ne sont pas "
traditionnelles " dans le fonctionnement de la démocratie puissent
s'exprimer. Et donc il fallait une sorte de forum qui à la fois
oriente, supervise et commente ce programme de convergence écologique.
Mais cela doit aller avec la volonté de renforcer l'appareil
industriel. Il faut absolument sortir de ce débat qui aurait opposé
l'un à l'autre. La vision d'une partie des environnementalistes visant
à opposer l'un et l'autre n'est absolument pas la ligne que la table
ronde a suivie.
Venons-en au point du budget. Une de vos propositions est d'augmenter
le budget de l'Union. Vous allez même jusqu'à 2% du PIB. Est-ce
réaliste au moment où le groupe de six pays demande une réduction du
budget à 1% ?
Ceux qui ne sont pas réalistes, ce sont ces six pays. Ce que nous
faisons ça consiste uniquement, pour 80% de ce budget, à m ettre des
chiffres en face des dépenses qui ont été décidées. L'exemple le plus
frappant est celui de la stratégie de Lisbonne : les décisions dont on
dit qu'elles sont fondamentales pour l'avenir de l'Union ont été
prises sans qu'aucun moyen de les réaliser ait été accepté. On sort de
la méthode ouverte de coordination dont l'échec est patent et si nous
considérons qu'il faut absolument atteindre les objectifs, alors ça
veut dire qu'on doit les atteindre par d'autres moyens plus
traditionnels et, dans ces conditions, combien cela coûte-t-il? Donc
nous avons uniquement mis en chiffres ce qui a déjà été décidé par
l'Union. Selon qu'on tient compte ou pas de nos engagements en matière
de développement du tiers monde, on tombe à 1,7% ou à 2% du PIB. Donc
nous ne disons pas " out of the blue sky " : il faudrait dépenser 2%
du PIB. Pourquoi pas 2 ? Pourquoi pas 3 ? Pourquoi pas 10 ? Pourquoi
pas 25 ? Nous disons simplement (à 0,1 près où il y a quelques
propositions que nous faisons qui n'existaient pas avant qui sont
originales, mais laissons ce 0,1 de côté) que nous avons décidé de
faire des choses et que nous ne nous sommes pas donnés les moyens de
le faire. Alors ou nous y renonçons, mais c'est très difficile d'y
renoncer parce que dans le même temps on a dit que c'était
indispensable à la survie de l'Union, ou alors nous le faisons et cela
ne coûte pas énormément au regard des budgets fédéraux d'autres
entités fédérales (les Etats-Unis, l'Allemagne par exemple) mais cela
coûte beaucoup plus que ce qui existe aujourd'hui. Ce qui n'est pas
réaliste, c'est la position des gouvernements qui d'un côté disent
qu'il faut poursuivre la stratégie de Lisbonne, il faut atteindre ces
objectifs, et qui de l'autre côté ne se donnent pas les moyens de le
faire. C'est pareil pour l'élargissement et les Fonds structurels dont
on peut dire exactement la même chose.
C'est ce que dit la Commission : il faut vous donner les moyens de
faire ce que vous avez décidés dans les Conseils. Par contre, on peut
aussi économiser dans certains domaines. Par exemple, proposer de
réduire la PAC à 20% du budget total de l'UE. Mais vous savez aussi
que jusqu'à 2013 tout est bloqué sur ce sujet...
Soyons bien clairs là-dessus. Ce que nous disons c'est que si au bout
du processus, on devait arriver à mettre en oeuvre l'ensemble de nos
propositions, et qu'on soit effectivement à 2% du PIB, alors
mécaniquement la politique agricole ne comptera plus que pour 20%. On
ne peut pas dire qu'il n'y ait pas aussi d'économies à faire. Il y a
un effet mécanique mais nous disons qu'il est anormal que la politique
agricole occupe aujourd'hui presque la moitié des dépenses de l'Union
(une part de ce caractère anormal est que ce budget est trop petit par
ailleurs).
Justement, ne faudrait-il pas être encore plus radical ? Sur certains
points vous avez été assez audacieux. Sur celui-là , moins. Est-ce que
c'est parce que vous êtes français ? Est-ce que vous croyez
fondamentalement que la politique agricole ne peut pas beaucoup
évoluer ?
Non, je pense que la politique agricole doit beaucoup évoluer, mais je
ne suis pas sûr qu'elle coûte moins cher. Elle doit évoluer pour aller
vers une politique de soutien au niveau de vie des agriculteurs plutôt
que du soutien par les prix. Vers une politique d'occupation du
territoire plutôt qu'une politique extensive, et cela c'est une
réforme très profonde, pas toujours acceptée dans mon pays d'ailleurs.
Mais je ne suis pas sûr qu'à l'arrivée si mécaniquement ce que nous
disons là conduisait à ce que la politique agricole fasse 20%, peut-
être que ce que j'évoque ferait qu'à l'arrivée elle n'en ferait plus
que 15. Mais de toute façon, il restera des dépenses importantes pour
d'autres objectifs qu'on doit suivre, poursuivre, en matière
d'occupation du territoire, en matière de préservation de
l'environnement, en matière de lutte contre la désertification.
Un professeur suédois, M. Daniel Tarschys, a écrit un rapport
intéressant sur la politique de cohésion. Il dit que, pour atteind re
1% du PIB comme le veulent les Six, il ne faut pas économiser sur la
PAC mais il faut surtout économiser sur la politique régionale. Qu'en
pensez-vous ? Dans votre rapport, vous maintenez les politiques
structurelles à un niveau de 40%.
Il faut économiser sur la politique régionale, notamment sur le Fonds
de cohésion dans les pays vers lesquels il va aujourd'hui. Il est
totalement anormal que l'Irlande continue encore aujourd'hui à
bénéficier du Fonds de cohésion. En revanche, les dépenses en termes
de politique de cohésion et de Fonds structurels en direction des
nouveaux entrants sont très sous-estimées dans les perspectives
financières telles qu'elles ont été établies jusqu'à maintenant. Donc
à l'arrivée je ne suis pas sûr que ce soit un poste qui soit amené à
diminuer, au contraire.
Dans votre rapport vous mentionnez aussi un revenu minimum européen
(similaire au RMI, revenu minimum d'insertion, en France). C'est l'une
de vos propositions. Sera-t-il défini par les Etats membres ? Sur quoi
sera-t-il basé ?
L'idée est de définir un filet de sécurité des revenus minimums
européens qui pourrait être défini par une sorte de pourcentage du
revenu moyen du pays. Ce ne sera évidemment pas le même revenu minimum
aux Pays-Bas et en Grèce. Ce " filet de sécurité " permettrait de
lutter contre la grande pauvreté en s'adaptant la situation de chaque
pays.
Vous dites qu'il faut une intervention de l'Europe pour créer un
espace démocratique européen. Comment voyez-vous cela ?
Je crois qu'il y a mille pistes à suivre. Nous en donnons quelques
unes dans le rapport. Il y a celle qui concerne les institutions
politiques et les partis politiques, leur rôle dans les élections,
etc. Et une autre grande voie qui touche aux médias européens. Il y a
aujourd'hui relativement peu de médias européens. Il y a une sorte de
paradoxe, c'est que les médias qui sont aujourd'hui lus par le plus
d'Européens sont des médias qui sont extérieurs à l'Europe [CNN, le
Wall Street Journal par exemple]. Le paradoxe est assez considérable.
Il faut se donner les moyens de développer des médias européens par
tous les systèmes qui puissent être envisagés : il y a en France des
systèmes d'aides à la presse et on trouve d'autres méthodes dans
d'autres pays. Il faut faire en sorte que l'Union consacre de l'argent
à développer des médias qui ont la possibilité de conquérir petit à
petit (ça prend évidemment beaucoup de temps) un lectorat ou des
spectateurs dans l'ensemble de l'Europe. C'est est une condition
indispensable à la création d'un " demos européen ".
Vous pensez au développement de certains médias européens qui existent
actuellement : Euronews, Arte d'une certaine façon, ou plutôt à des
nouvelles créations ?
A de nouvelles créations.
Dans le cadre des nouvelles créations, s'agirait-il de faire
subventionner par Bruxelles une "CNN à la française" telle que
proposée par M. Chirac ?
Non, parce qu'une "CNN à la française" est à la française ! En
revanche, si on peut transposer l'idée, une CNN à l'européenne, ce qui
est peut-être Euronews mais peut-être pas exactement Euronews,
rentrerait dans le cadre.
Euronews reçoit déjà depuis des années des subventions de la
Commission. Par contre, ça n'a pas fait beaucoup de différence. Ce
sont principalement des " élites " qui regardent Euronews et pas le
grand public. Alors est-ce que ce n'est pas finalement un échec ?
Bien sûr, le constat aujourd'hui c'est que ça ne fonctionne pas, c'est
que l'objectif n'est pas atteint.
Alors qu'est-ce que vous changeriez ?
D'une façon générale dans ce rapport on ne rentre pas dans un niveau
de détails des propositions disant "il faudrait faire comme ci, il
faudrait faire comme ça". On dit : "Sur cette question, c'est vital de
faire en sorte que les moyens soient dégagés pour permettre le
développement de médias européens qu'ils dépendant du secteur privé ou
public". Mais ce n'est pas à nous de proposer une grille de
programmes ...
Sur la politique industrielle, je me demande si vous n'agitez pas un
chiffon rouge, par rapport aux Etats membres ?
J'espère bien !
On a parlé, dans les années 1970-1980 (après, ça s'est à peu près
arrêté), de politique industrielle au niveau européen. Maintenant vous
apportez une dimension nouvelle qui est celle de "champions
européens", idée qui risque de donner à votre rapport une teinte
encore plus française. C'est en effet un concept français : ça marche
parfois bien, ça ne marche parfois pas. Quels sont les arguments pour
que ça marche mieux au plan européen que ça n'a marché au plan
national ?
EADS, Euronext marchent très bien.
Vous dites c'est que ceci marche bien au plan européen et qu'il faut
le faire dans d'autres secteurs ?
Non, ce que nous disons c'est qu'il n'y a aucune raison de nous
interdire de faire en sorte que ça marche. Ce n'est en rien une
recette miracle qui sert à toutes les sauces. Mais lorsqu'il y a des
situations sur certains marchés (l'aéronautique et l'aérospatiale en
était un, il y en a d'autres, le nucléaire par exemple) où la création
d'entités européennes de taille mondiale est utile, il n'y a aucune
raison de nous empêcher de le faire.
Pour atteindre cela, vous allez jusqu'à proposer de changer la
politique de concurrence...
Oui. Les règles sur la concurrence sont tout à fait nécessaires et je
suis le Français le plus favorable à la politique de concurrence qui
puisse exister. Mais il ne faut pas que ces règles soient telles
qu'elles empêchent la création de structures industrielles ou de
services européens qui apparaissent nécessaires sur un marché
particulier.
Même après les réformes que Monti a introduites [décentralisation d'un
partie des procédures anti-trust], c'est nécessaire de changer ?
Non, ce n'est pas obligatoirement nécessaire de changer. Ce que nous
disons simplement c'est qu'il ne faut pas que ce soit le cas et si
d'aventure le problème se posait, il faudrait être capable de faire
triompher le pragmatisme et l'objectif poursuivi plutôt que la lettre
des règles. Personne n'est capable de dire aujourd'hui ce que dans
cinq ans les règles telles qu'elles existent aujourd'hui empêcheront
ou n'empêcheront pas dans tel ou tel domaine. Les règles de la
politique de concurrence ne doivent pas systématiquement l'emporter
sur les opérations dont on estime par ailleurs qu'elles sont
nécessaires. Ces règles ont été faites au regard du grand marché,
c'est-à-dire en fait au regard d'un problème de concentration
monopolistique et elles ne sont pas bien adaptées à tout ce qui est
petites entreprises, innovation etc. Et dans ce domaine-là aussi nous
avons des évolutions de la politique de la concurrence à vivre. Ce
serait bien, parce que le principe même de la politique de concurrence
a été établi à un moment où le modèle européen était encore un modèle
de " décalque ", de copiage du modèle économique américain, et pas
encore un modèle capable de passer dans une économie de l'innovation.
Jusqu'à présent, il y avait une certaine autonomie sinon indépendance
de la DG Concurrence. Le collège de la Commission, avec un commissaire
pour chacun des 25 pays, risque de se transformer en "sous-Conseil"
fortement politisé. Vous envisager du "mécano industriel" à 25 pays ?
Si les règles de concurrence sont rendues plus flexibles, faut-il
aller vers un "Eurokartellamt" ?
La concurrence est sans doute un des domaines, avec celui de la
recherche, où une agence est une structure plus adaptée que
l'institution qui existe aujourd'hui.
En terme de relations publiques, pour faire avancer cette idée qui
risque d'apparaître trop française au départ, comment est-ce que vous
compter vous y prendre ?
Vous avez absolument raison de dire que l'idée de champions européens
apparaît très française mais elle apparaît très française comme les "
French fries " : c'est très français mais tout le monde en mange ! Et
quand vous rencontrer un dirigeant politique allemand par exemple, il
ne vous dit pas autre chose. C'est la même chose si vous rencontrez un
Suédois. L'idée n'est pas française, elle est une vision de l'action
politique qui est plus libérale ou moins libérale. Là effectivement,
il y a clairement une différence. Mais ça n'est plus un problème
français.
Votre proposition sur les frontières de l'Union est probablement la
plus controversée que vous ayez faite dans votre rapport. Sur la
Turquie, ce que vous dites est une opinion à peu près majoritaire, on
verra si c'est le cas au moment de la décision sur la date d'ouverture
des négociations. Mais vous dites aussi que le processus d'expansion
doit s'élargir aux pourtours de la Méditerranée. Est-ce que vous
envisagez sérieusement une Union avec le Maghreb et le Mashrek ?
Ce n'est pas que j'envisage une Union européenne avec le Maghreb,
c'est que je n'envisage pas de survie de l'UE à 50 ans si elle n'a pas
pris ses responsabilités sur le Maghreb. Lorsque dans 50 ans on
regardera les grands pôles qui structureront la géopolitique mondiale,
il y aura certainement un grand pôle nord-américain qui s'étendra vers
l'Amérique centrale, je ne sais pas jusqu'où, puis après certainement
un grand pôle chinois qui dans 30 ou 40 ans aura rempli toutes les
promesses qu'aujourd'hui l'économie chinoise est en train de montrer,
il y aura très probablement un grand pôle indien qui comptera aussi
plus d'1 milliard d'hommes, il y aura possiblement un grand pôle
autour du Brésil, mais je ne suis pas certain qu'il y aura un grand
pôle européen. Ce dont je suis sûr, c'est que s'il y a un grand pôle
européen, quand sur une carte on voudra le tracer avec une grosse
craie pour montrer " ça, c'est le grand pôle européen ", la craie ne
pourra pas passer à l'intérieur du détroit du Bosphore ou à
l'intérieur du détroit de Gibraltar. La craie sera obligée d'englober
l'ensemble de ce qui est la racine de notre civilisation européenne
c'est-à-dire la Méditerranée. Cela suppose bien sûr des niveaux
d'intégration politique très différents. Il y des pays qui ne voudront
pas ou qui ne pourrons pas s'intégrer plus avant. Dans le partage du
monde tel qu'on peut essayer de le définir à l'échéance de 40 ou 50
ans, il n'y a pas de vie autonome pour le Maghreb. Et donc nous en
avons la responsabilité. La pression démographique que cette partie
du monde exercera sur nous la fera exploser si nous n'avons pas pris
la responsabilité de gérer cette question. Alors, encore une fois,
cela veut dire une Union européenne avec des niveaux d'intégration
différents, des affiliations différentes (affiliations est le terme
qui est repris dans le rapport car c'est quelque chose de plus
sensible que seulement les associations telles qu'elles existent
aujourd'hui qui sont assez légères). Et pour aller plus loin, pour
être encore plus provoquant, je vois bien que, au Nord, les glaces de
l'Arctique sont une frontière, au Sud le Sahara en est une, à l'Ouest
l'Atlantique en fait une aussi, et à l'Est je ne sais pas. Ma
conviction personnelle, c'est que la zone d'influence européenne
s'arrêtera le jour où elle rencontrera la zone d'influence chinoise.
Le problème des républiques turcophones nous est posé.
Vous allez très loin, effectivement. On peut concevoir l'intégration
économique, d'ailleurs les jalons sont déjà posés, mais l'intégration
politique ?
Ce que dit le rapport, c'est que l'intégration politique doit se faire
dans des ensembles qui peuvent être plus étroits que l'Union à 25
d'aujourd'hui. Le principal reproche que j'ai à faire au texte de la
Convention, c'est qu'il est plat. On est dedans, ou on est dehors.
Cette possibilité de voir à long terme comment des intégrations
différenciées peuvent être mises en oeuvre est complètement laissée de
côté. Je crois que c'est une faiblesse considérable.
Vous voyez une Union européenne qui s'élargie encore beaucoup plus
mais sans s'intégrer trop, le tout dirigé par un noyau dur beaucoup
plus restreint...
L'ensemble " affilié " large a voca tion à s'intégrer beaucoup en
termes économiques, sociaux démographiques, mais pas obligatoirement
en termes politiques. Pour l'ensemble plus intégré [le noyau dur], ce
que je voulais récuser c'est qu'il dirige l'ensemble " affilié ". Il
faudrait qu'il se dirige lui-même, c'est-à-dire qu'il soit
effectivement politiquement plus intégré. Cela n'implique pas qu'il
ait une quelconque prépondérance sur le reste.
Vous semblez avoir une opinion différente de l'opinion qui me semble
être majoritaire en France : ralentir l'élargissement de l'UE pour
préserver son degré d'intégration.
Je crois que les deux vont de paire. Il n'y a pas d'intégration de
l'Union européenne s'il n'y a pas de survie de l'Union européenne. Et
je crois qu'il n'y a pas de survie d'ici 20 ou 30 ans pour l'UE, sauf
formellement peut-être, si nous ne sommes pas capables d'anticiper les
grands problèmes qui sont ceux, que nous allons rencontrer. Ces grands
problèmes, quels sont-ils ? Il s'agit du développement des pôles que
j'évoquais tout à l'heure, de la Chine, de l'Inde, du Brésil, de la
domination américaine en matière économique et en matière militaire,
de la pression démographique des pays d'émigration qui pèse sur nous,
de la rencontre que nous vivons entre le christianisme et l'islam :
c'est bien en Europe que ça se passe et ces problèmes là, si nous
faisons seulement semblant de les traiter, il n'y aura pas d'Europe.
Donc il n'y a pas de contradiction entre vouloir plus d'intégration et
vouloir plus d'élargissement.
La crise écologique ?
Vous avez raison. Moi j'admets tout à fait qu'on soit d'un avis
différent, je dis simplement que personne ne m'a jamais proposé une
vision de long terme qui garantissent la pérennité. Et donc on revient
à " sustainable Europe ". La pérennité à long terme de ce qui s'est
construit depuis 50 ans dépend de la prise en compte des grands défis
qui sont ceux du pourtour de la Méditerranée
Une dernière question sur l'esprit de ce rapport. La plupart des
participants de votre groupe de réflexion étaient au pouvoir que ce
soit en politique, dans des mouvements syndicaux ou dans les
entreprises. On a l'impression que dans ce rapport il s'agit plus
d'une culture d'opposition que d'une culture de gouvernement. Alors
est-ce qu'il n'y a pas dans ce rapport plus une volonté de prendre
date et de marquer une différence, plutôt que de faire des
propositions qui sont susceptibles de mise en oeuvre ?
Le problème n'est pas de savoir si elles sont susceptibles ou pas de
mise en oeuvre, le problème est de savoir si il est nécessaire de les
mettre en oeuvre. Et la conclusion de la table ronde, c'est qu'il est
nécessaire de les mettre en oeuvre. Vous avez raison de dire que ça
réunit des gens qui ont été au pouvoir et qui avaient du temps à
consacrer à la réflexion. Mais mon expérience, c'est qu'en politique
on ne réfléchit que quand on est dans l'opposition et que quand on est
au pouvoir on ne réfléchit plus, et c'est pour ça que la démocratie
repose sur l'alternance.
La Commission est en train de préparer son programme pour les 5
prochaines années, pensez-vous qu'elle prendra votre rapport en
considération ?
Je ne veux pas sembler prétentieux, il y a beaucoup de rapports
européens qui disparaissent, mais j'ai été heureux de voir que Prodi
ne donnait pas le même sort à ce rapport qu'à d'autres. . Il a été
très chaleureux à la conférence de presse dans laquelle il est
intervenu. Maintenant Romano Prodi a d'autres préoccupations, mais je
pense que tout cela sera repris assez largement par la prochaine
Commission. Je n'imagine pas que le prochain président de la
Commission, issu d'une tendance politique conforme à la majorité du
Parlement européen qui sortira des élections, considère que tout a été
joué avant lui. Donc c'est bien dans les mois qui viennent qu' il me
semble que les choses vont se jouer.
Source :
http://www.euractiv.com/en/future-eu/full-interview-dominique-strauss-kahn/article-128539
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