L'Europe étant le sens de l'Histoire, la nation un concept ringard
pour nostalgiques, toute réalisation qui allait dans un sens
européiste ne pouvait être définie que comme bonne.
La monnaie unique a été fanatiquement défendue par des hommes
politiques de différents partis comme Balladur, Delors, Giscard,
Strauss-Kahn, Bayrou ou Mitterrand... la liste étant trop longue.
L'idéologie post-nationale a fait ses ravages.
Sur le plan économique (on en revient toujours aux fondamentaux), à
qui rapporte l'Euro ? A pas grand monde, si ce n'est quelques rentiers
et financiers et les grands patrons allemands qui profitent de la
politique de désinflation compétitive mise en place par le
gouvernement allemand. Un euro fort permet pour eux d'externaliser et
d'acheter aussi à bas coût.
Hormis cette minorité, il faut reconnaître que l'Euro a eu un effet
très nuisible sur l'économie de la France, de l'Italie, et même pour
le peuple allemand. Ceci est bien sûr un tabou de le dire et surtout
d'insister. L'Euro tient encore pour plusieurs raisons. Il bénéficie
de de la tyrannie du statu quo et de la difficulté technique à
remettre les monnaies nationales. Revenir aux monnaies nationales
reviendrait aussi à dire que les technocrates qui nous gouvernent se
sont trompés, eux qui ont toujours considéré qu'ils appartenaient à «
ceux qui savent » par opposition au peuple ignare. La construction
européenne donne aussi aux dirigeants politiques le sentiment d'avoir
quelque chose à faire et de jouer un spectacle aux yeux de l'opinion
qui les légitime, même si cela finit par lasser depuis le temps qu'il
dure.
Il y a donc un véritable blocage psychologique lorsqu'on aborde la
question de l'Euro de reconnaître que les «élites» ont inventé une
usine à gaz qui a asphyxié les économies de la France et de l'Italie
et qui continue à détruire leur industrie. Ce n'est pas du populisme,
terme méprisant venant de la classe politique, de dire cela. Cela se
compte en chômage, drames humains, délocalisations, croissance
atone... L'Euro a été le symbole de l'Europe néo-libérale qui aussi
s'est effondrée avec la crise, ce néo-libéralisme ayant été voté par
le traité de Maastricht.
De nombreux économistes comme Friedmann ou Mundell avaient pourtant
prévu que l'Euro était une mauvaise idée, étant données les
différences énormes entre les économies des différents pays appelés à
faire partie de la zone Euro. On a mis cela sur le compte d'une vision
pro-américaine anti-européenne. Pour qu'une zone monétaire soit
viable, Mundell définissait quatre critères: homogénéité des pays,
flexibilité des salaires, mobilité des personnes, et budget commun
conséquent. Si ces critères étaient vérifiés par les Etats-Unis
d'Amérique, ils ne l'étaient évidemment pas pour l'Europe, en plus de
la diversité des langues. La mise en place de l'Euro a curieusement
exacerbé les différences et antagonismes économiques des différents
pays.
L'Allemagne a utilisé l'Euro à des fins personnelles, au détriment de
la France et de l'Italie et même des autres pays de la zone Euro. Cela
a détruit massivement les industries françaises et italiennes. Avec la
crise grecque, l'Allemagne est plus dominatrice que jamais en donnant
des leçons aux Grecs qui avaient caché leurs déficits. A ces
méchancetés allemandes, Papandréou avait répond finement : « Les Grecs
n'ont pas la corruption dans leurs gènes, tout comme les Allemands
n'ont pas le National-socialisme dans les leurs ». Toutes ces petites
phrases assassines montrent que loin de faire taire les nationalismes,
la construction européenne les a exacerbés. On fait grand cas des pays
baItes qui frappent à la porte de la zone Euro, comme si cela était un
signe de la bonne santé de l'Euro, mais cela ne se traduira pour la
France et l'Italie au final qu'en délocalisations et perte d'emplois,
en concurrence avec des pays aux salaires plus bas, d'où une nouvelle
spirale mortifère pour ces deux pays.
En conclusion, nous dirons que la crise économique n'a fait
qu'accélérer la déconfiture de l'Euro et que tout manque de décision
se paiera tôt ou tard très cher pour la classe politique, gauche
comprise, qui a accepté l'essentiel des règles économiques actuelles.
Le capitalisme financier et sa monnaie symbolique sur notre continent,
l'Euro, sont à l'agonie. La seule politique économique qui est offerte
aux Français est : « Aujourd'hui est moins bien qu'hier et demain sera
pire qu'aujourd'hui ». Le soi-disant volontarisme sarkoziste n'y
changera rien, la cote actuelle de Fillon venant du fait que ne
faisant rien, il n'est responsable de rien.
Patrice GROS-SUAUDEAU, Statisticien-économiste.