LE SOIR – 17.6.2024
Un sommet pour la paix, mais pas tout de suite
Par Stéphane Siohan, correspondant à Kiev
La conférence pour la paix en Ukraine, organisée par la Suisse, s’est achevée dimanche avec l’adoption d’un texte reprenant la vision de Kiev sur la sortie de guerre, mais laissant prudemment une place pour que la Russie rejoigne la table, si sa stratégie évoluait. Les autorités ukrainiennes se sont déclarées dimanche « satisfaites » de la conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine qui s’est tenue au Bürgenstock, dans les Alpes helvétiques. Au bout de deux jours, 80 chefs ou représentants d’Etat et 4 organisations internationales ont apposé leur signature sur un document qui reprend quelques-uns des axes de la « formule de paix » ukrainienne.
Pas assez sans doute pour Kiev, mais ce texte pave le tout début d’un chemin, sacrément escarpé, vers une sortie de la guerre que mène la Russie en Ukraine, malgré le silence pesant de plusieurs acteurs majeurs de la communauté internationale.
En premier lieu, la Russie, dont la non-participation a heurté certains délégués du Sud global. Le dernier communiqué laisse finalement la porte entrouverte à une participation de la Russie à un sommet ultérieur, en fixant sur papier qu’il faut « impliquer toutes les parties », mais en rappelant aussi « les principes de souveraineté, d’indépendance et d’intégrité territoriale de tous les Etats, y compris l’Ukraine ».
Pour autant, Volodymyr Zelensky a estimé dimanche, en clôture du sommet, que la Russie et ses dirigeants n’étaient « pas prêts à une paix juste », qu’il fallait continuer le travail, et que la Chine, autre absente remarquée, « pourrait [nous] aider ».
Auparavant, comme de bon ton lors d’un tel raout diplomatique, 101 délégués se sont réunis samedi sur la traditionnelle photo de famille, les cimes vertes alpestres en toile de fond. Une façon pour Volodymyr Zelensky de compter ses alliés. Durant plusieurs jours, les spéculations sont allées de bon train sur le nombre de participants. Seraient-ils quatre-vingt, ce qui aurait été un échec pour Kiev, ou bien plus de cent, un début de victoire ? La présence en dernière minute d’invités non annoncés, comme le président argentin Javier Milei, dont la connexion réciproque avec Zelensky crève les yeux, a fait pencher la balance, malgré l’absence de Pékin ou de Pretoria.
« C’est certainement la fin du début »
La Russie, absente, n’a pas fait qu’écouter, elle a aussi fait monter les enchères. A la veille du sommet, Vladimir Poutine a posé pour condition à un début de processus de paix la reddition militaire de l’Ukraine dans ses quatre régions du sud-est, ce qui équivaudrait à donner Kherson et Zaporijia aux Russes. Sorti du placard, Viktor Medvedchuk, ancien chef du parti pro-russe en Ukraine, désormais en Russie, a même affirmé que si les Ukrainiens ne se conformaient pas à cette base de négociation, « la Russie [devrait] occuper Odessa et d’autres villes ».
L’occasion pour Zelensky de répondre à ceux qui voudraient voir les Russes trop tôt assis à la table. « Il n’y a pas de Russie ici. Pourquoi ? Parce que si la Russie était intéressée par la paix, il n’y aurait pas la guerre », a déclaré Zelensky, estimant que son objectif est l’établissement d’un « plan d’action » reprenant les axes principaux de la « formule de paix » en dix points, couvée par son homme de confiance, Andriy Yermak. « Ce plan sera ensuite communiqué [à la Russie] », poursuit Zelensky. « Ainsi, lors du deuxième sommet, nous pourrons déterminer la véritable fin de la guerre. »
Dimanche, le communiqué ne reprend que trois des dix points, avec la sécurité nucléaire, alimentaire et le retour des prisonniers ukrainiens comme une base minimale.
Il y a aussi eu de la déperdition dans les rangs au moment de sortir le stylo-plume : seulement 80 pays et 4 organisations ont signé le communiqué, avec l’abstention notoire de pays comme le Mexique, l’Inde ou l’Arabie saoudite.
Selon la chercheuse Maria Zolkina, spécialiste en sécurité régionale à la Fondation des initiatives démocratiques, à Kiev, la mention des « autres propositions de paix » dans le communiqué n’est pas totalement à l’avantage de l’Ukraine, car à l’avenir, des propositions chinoises ou brésiliennes, plus conciliantes avec la Russie, pourraient revenir dans le jeu.
Mais pour le député pro-présidentiel ukrainien Yegor Cherniev, « la principale question était de savoir qui dicterait l’ordre du jour du processus de paix et ses conditions de base ». Or, selon ce parlementaire spécialisé dans la Défense, « l’Ukraine a gagné et dispose [désormais] de l’avantage diplomatique. D’autres acteurs comme la Chine peuvent bien sûr soumettre leurs idées, mais les principes clés d’un règlement pacifique sont désormais clairement définis ». Pour Cherniev, « ce n’est pas le début de la fin [de la guerre], mais c’est certainement la fin du début ».