pendaisons de 28 militaires négro-mauritaniens pour
fêter l\'indépendance
Note de lecture de Mohamadou Saidou TOURE, Paris,avril
2002.
L'ENFER D'INAL. "MAURITANIE, L'HORREUR DES CAMPS", de
Mahamadou SY
Il ya 17 ans, on pendait 28 militaires
"négro-mauritaniens" pour célèbrer le 30 ème
anniversaire de l'indépendance de la Mauritanie. Des
centaines d'autres furent massacrés froidement par
leurs frères d'armes. Au lendemain des journées de
concertation, il est important que l'opinion nationale
mauritanienne prenne la mesure de la gravité des
crimes commis sur des Mauritaniens par d'autres
Mauritaniens pour délit d'appartenance ethnique pour
que plus jamais ces crimes contre l'humanité ne se
reproduisent.
ps: J’ai laissé mon article presque tel quel, en
conservant toutes les citations en langue arabe
(coraniques ou non), étant donné leur force
argumentative évidente pour le public mauritanien,
auquel il était d’ailleurs exclusivement destiné.
(Article rédigé en avril 2002. Il a fait l’objet d’une
communication dans le cadre d’un colloque organisé le
31 mai et le 01 juin 2002 à la Sorbonne par
AIRCRIGE,ASSOCIATION INTERNATIONALE de RECHERCHE sur
les CRIMES et GENOCIDES).
Mise en garde de Mahamadou SY:
Mr SY a écrit son livre strictement par devoir de
mémoire, comme il l'indique dans son avant-propos,
loin de tout esprit polémique. Si l'orgueil national
de la Mauritanie en prend un sacré coup, son
témoignage factuel n'y est pour rien. C'est, comme le
dirait Stendhal, "un miroir qu’on promène le long d’un
chemin », dût-il avoir l'impudeur d'en montrer la face
hideuse.
Auteur : SY, Mahamadou (rescapé miraculé d'Inal, un
camp d'extermination de «Négro-mauritaniens»)
Titre : L'enfer d'Inal. «Mauritanie l'horreur des
camps.»
Paris, éditions L'Harmattan, 2000, 186 pages.
***
Le livre de Mahamadou SY a ceci de singulier que le
récit circonstancié des faits qu'il relate en ralentit
d'entrée de jeu la lecture. Non pas que le précieux
témoignage oculaire de SY, rescapé miraculé d'un camp
d'extermination de «Négro-Mauritaniens», ne vaille pas
la peine d’être lu. C'est que les actes de barbarie
décrits, à nuls autres pareils, ont trop mauvaise
haleine pour tenir en haleine la curiosité du lecteur
qui, au bout de quelques pages, est bien obligé, sinon
d'arrêter définitivement sa lecture, du moins de la
suspendre : une réaction naturelle à la lecture de
faits qui relèvent du MAL ABSOLU, que seule est
capable de commettre la plus basse extraction humaine.
En l'Homme cohabitent, en effet, de manière
antithétique LA SUBLIME VERTU et le PLUS IGNOBLE VICE
:
«Très certainement, Nous avons créé l'homme en la plus
belle stature. Ensuite, Nous l'avons renvoyé au plus
bas des bas»(1), souligne le coran.
«laqad khalaqnâ al-insâna fî ahsani taqwîmine soumma
radadnâhou asfala sâfilîna»(2), (sourate: 95, «
at-Tîni » ; versets : 3 et 4).
Ce qui donne des sueurs froides au lecteur et le
révulse, c'est autant l'outrance de bourreaux
illuminés et obnubilés par leur religion haineuse
qu'un certain outrage à l'HUMANITE : déshumanisation
des prisonniers que la féroce bestialité des
tortionnaires désigne comme des victimes expiatoires
d'un massacre justifié au nom d'une certaine mystique
ethnique et nationaliste de «l'hominis arabis» ;
déshumanisation des bourreaux eux-mêmes, abêtis et
avilis par leur haine irrémissible et dégradante.
Il ne s'agit pourtant pas d'une oeuvre de fiction dans
la veine des «cercles infernaux» dantesques, où le
sadisme le dispute à la cruauté. Encore que les hôtes
de Pluton (Dieu des enfers) chez Dante sont châtiés
après leur mort et pour leurs péchés dans l'ici-bas.
Ce dont se fait du reste l'écho le coran :
«Puis, ce jour-là, on ne manquera à personne. Et vous
ne serez payés que de ce que vous oeuvriez»(3)
«fal yawma lâ touzlamou nafsoune chay'ane fa lâ
toujzawna illâ mâ kountoume ta 'maloûna» (sourate 36,
yâssîne; verset : 54).
Il ne s'agit pas non plus d'un récit de la « Jâhiliyya
», l’époque anté-islamique considérée avec dédain par
les musulmans. Encore qu'à cette époque, l'éthique
chevaleresque du Bédouin de l'Arabie reposait sur le
«mouroû'a» (sens de l’honneur ; virilité) qui exclut
tout acte de lâcheté, le «hilm » (maîtrise de soi ;
mansuétude, bonté) qui exclut toute infamie et le
«zarf » (Courtoisie ; finesse esprit) qui est aux
antipodes de la sauvagerie des bourreaux que nous
décrit Mahamadou SY.
Il ne s'agit rien de plus que de notre Mauritanie
contemporaine régentée par une engeance infecte qui a
pour noms Sidi Ahmed Ould Boïlil, Cheikh Ould Mohamed
Salah, Sidi Ould Néma, Ely Ould Dah, Ely Ould Ahamad,
Rava Ould Seyid, Ould Demba, Yezide Ould Moulaye,
Khatra Ould Mohamed Aghib, Souleymane Ould Eleyatt,
Mohamed Ould Sidi, Sidina Ould Bouya, Tourad Ould Abd
Samed et autre ramassis de vandales sans foi, ni loi,
qui sont les rouages d'un système prétorien incarné
par Ould Taya :
Nous sommes au mois de septembre 1990. Déjà à Boghé,
dans le sud de la Mauritanie, l'épuration ethnique bat
son plein. Mahamadou SY, l'auteur de L'enfer d'Inal,
avait, un an auparavant, eu vent d'une imminente
extermination des militaires «négro-Mauritaniens.» Le
soldat qui lui avait donné cette information avait «un
jour entendu le lieutenant Mahfoudh dit Deuf, de la
première région militaire, à Nouadhibou, faire des
confidences à un autre officier maure (....) le soldat
était sous un véhicule pour un petit bricolage. Le
lieutenant avait entraîné son collègue à côté du
véhicule et dit au cours d'une conversation : «pour
les militaires kwars [«Négro-Mauritaniens»], ce sera
l'année prochaine ; après, il n'y en aura plus.»
Toujours est-il que lorsque l'on arrête Mahamadou SY
le 10 novembre 1990 à la Guerra à environ 8 km de
Nouadhibou, qu'on le conduit à Wajeha, (à 12 km), puis
à Inal (à 255 km de la capitale économique), la
perspective d'un crime planifié et organisé à une
large échelle ne lui effleure pas encore l'esprit :
«je suis loin de me douter que le pouvoir mauritanien
a tout simplement décidé de passer à la vitesse
supérieure dans sa politique d'épuration ethnique du
pays et que je vis ici les premiers moments de ce
qu'on a appelé, en d'autres temps et sous d'autres
cieux [l'Allemagne nazie], «la solution finale.».
J'ignore aussi qu'en ce moment même toutes les
casernes militaires du pays sont transformées en camps
de concentration.» page : 46.
Pas même le suicide prémonitoire du sergent-chef
Mamadou Samba SY peu avant les arrestations des
militaires «Négro-Mauritaniens» ne lui met la puce à
l'oreille. Le sous-officier, qui aurait
vraisemblablement surpris ses chefs s'entretenir de
leurs imminents forfaits éhontés, meurt en laissant un
mot, dont le sens était à peine énigmatique : «Je
préfère mourir plutôt que de me laisser persécuter par
des chiens.»
Cependant, très vite, Mahamadou SY prend les choses à
leur juste mesure. Traité sans ménagement par des
soldats qui le somment d'enlever son «ceinturon», ses
«épaulettes» et ses «rangers», il est solidement
attaché et roué de coups, avant d'être embarqué manu
militari dans un camion, les yeux bandés : «je suis
littéralement soulevé de terre et jeté dans un camion
où j'atterris sur d'autres militaires ficelés comme
moi (...) Nous sommes entassés les uns sur les autres
et serrés comme des sardines et n'avons aucune idée de
notre destination. Les gardiens nous tabassent tout le
long du parcours. Je commence à me faire une idée
précise de ce qui nous attend. Deux ou trois fois, le
camion s'arrête pour embarquer d'autres prisonniers ou
pour permettre aux gardiens de se débarrasser de
cadavres de prisonniers morts asphyxiés sous le poids
de leurs camarades. Nous ne voyons rien et par
conséquent ne pouvons savoir avec exactitude de qui il
s'agit. Une fois, je sens contre mon pied le contact
froid d'un corps qu'on tire.» page : 21.
Arrivés à Inal, le ton est donné dès l'abord par une
vile créature, le capitaine Sidina Ould Bouya, dont
les propos sans ambages édifient les prisonniers sur
le véritable mobile de leur arrestation : «Sales
Juifs, on vous aura tous ; même vos médecins seront là
demain, tous vos cadres seront ici, pas un de vous ne
restera dans l'armée !»
Coupables seulement d'être nés «Négro-Mauritaniens»
(c'est-à-dire «sales Juifs»), on ne s'embarrasse pas
de scrupules pour échafauder des chefs d'accusation
aussi grotesques que ridicules contre eux :
- Au médecin capitaine KANE Hamedine il est «reproché
de détenir dans l'armoire à médicaments de son bureau,
comme tous les médecins du monde, un produit dont le
flacon porte la mention «dangereux» ( !!)
- Quant au «vieux Dem», «septuagénaire édenté»,
vendeur de cure-dents au marché de la capitale, on lui
reproche d'avoir voulu fomenter un coup d'Etat ; or,
rétorque-t-il amer : «moi faire un coup d'Etat ! Je
n'ai plus qu'une seule dent et ne peux même plus faire
peur à un morceau de pain.» (page : 63)
- «Certains prisonniers civils n'ont même pas été
interrogés. Ils ont simplement été arrêtés, torturés
et conduits ici. Bien sûr, ils ont signé les papiers
qui leur ont été présentés, sans plus. C'est seulement
maintenant qu'ils se demandent ce que pouvaient bien
contenir ces feuilles. Ils ne savent ni lire, ni
écrire.» (page : 163 )
- les accusations formulées contre les militaires sont
également un jeu de dupes. Certains sont accusés
d'avoir voulu «marabouter» le colonel Ould BOÏLIL,
d'autres d'entretenir des relations avec les FLAM
(Forces de libération Africaine de Mauritanie) etc.
- Mahamadou SY, l'auteur du livre, est accusé, pour sa
part, d'avoir protégé des Sénégalais lors des
événements sanglants d'avril 1989 et parlé leur
langue, le wolof ( !!) : «J'étais loin de me douter
que le fait de parler aux gens dans leur langue ou de
ne pas les torturer représente une faute grave aux
yeux de mes chefs. Aujourd'hui, un an et six mois
après, le lieutenant Yezid me le sort comme chef
d'accusation. Je suis en train de payer pour la
souffrance que je n'ai pas su infliger aux autres.» (
!!) page : 44.
L'enjeu de la qualification juridique des crimes,
imputés à tort aux inculpés, est donc, comme nous le
constatons, d'abord sémiologique. Pour que le massacre
des Négro-mauritaniens eût une LEGITIMITE ABSOLUE, il
fallait restructurer le réel, donner aux signes un
nouveau contenu : d'où la judaïsation des victimes. La
conscience de soi des bourreaux, pour avoir bonne
conscience au contact avec l'altérité, l'investit d'un
nouveau signifié- la judaïté -, lourd de toute la
sédimentation antisémite qui formate le nationaliste
arabe de quelques esprits obtus et haineux.
Ce maladroit tour d'illusionnisme sémiologique jette
sans doute de la poudre aux yeux de ceux qui ont
besoin d'avoir une solidarité ethnique ou «organique»
avec les bourreaux ; mais, il faut plus qu'une
rhétorique de prestidigitateur pour trouver en
l'opinion internationale ou en tout homme sensé le
dindon de cette farce, qui a été démasquée sous
d'autres cieux.
La légitimité du massacre des Négro-mauritaniens
sanctifiée (acte 1), les bourreaux, qui saisis par une
délectation morbide, qui par une haine inextinguible,
commettent à qui mieux mieux des actes de sauvagerie
(acte 2) : peu importe que ce que les bourreaux
considèrent comme des « titres de gloire »
(«al-mafâkhir ») soient plutôt des « titres
d'ignominie » («al-massâlib»).
De même les tortionnaires, en postulant une altérité
religieuse dépréciée, développent une attitude
appropriative du DIVIN, de même leurs victimes, comme
mues par un élan de repossession de leur identité
islamique niée, impriment leurs actes d'un sceau
religieux (acte 3) : «nous essayons d'organiser et de
meubler le temps. La prière constitue notre occupation
primordiale, souligne Mahamadou SY. Sow Ibrahima fait
office d'imam. Il préside les prières collectives,
tandis que Sall Amadou Elhadj s'occupe de la
traduction du coran et des hadiths. Les prières se
poursuivent très tard dans la nuit.» (page : 86)
Mais, comme nous l'avons souligné, entre les bourreaux
et les victimes, il y a un fatal dialogue de sourds
basé sur l'abêtissement, la négation de l'être des
prisonniers en tant qu'HOMMES. Aussi, les bourreaux
n'ont-ils cure des jérémiades de «Sales Juifs»,
dussent-ils invoquer Allah : «Il en est de ceux ont
été chargés de la Thora, puis ne l'ont pas portée,
comme de l'âne qui porterait des livres»(4).
«massalou al-lazîna houmiloû at-tawrêta soumma lam
yahmiloû hâ kamassali al-himâri yahmilou asfârâ.»
(sourate : al-joumou 'a , 62 ; verset :5)
On comprend alors cette rage hystérique qui normalise
la violence, mais qui est naturellement étrangère à
l'éthique de l'homme policé : «Des autres baraquements
à ma gauche montent d'autres cris. Une des ces voix
répète sans cesse «lâ illaha illa Allah (il n'y a de
dieu qu'allah) Cette formule semble attiser la colère
de son tortionnaire, elle est ponctuée de gémissements
consécutifs aux coups que reçoit la victime. Le
tortionnaire veut imposer le silence à sa victime,
celle-ci invoque l'aide divine.» (page : 34)
Dès lors, le contact, brutal, avec le hassaniyya
(dialecte arabe et langue des geôliers) n'est pas
placé sous de bons auspices. Les pensionnaires des
camps d’extermination, locuteurs maternels d'autres
langues, apprennent bien vite, selon une pédagogie (la
torture), dont ils eussent volontiers voulu être
exemptés, un vocabulaire arabe décliné sur le mode
injonctif de l'impératif et qui ressortit au champ
lexical de la haine : «vreikh !», «roud !» ; «amlouh
!»
Cependant, la langue arabe trouve grâce aux yeux des
prisonniers en butte à la bestialité de leurs
geôliers. Leur foi religieuse névrotique fait
l'amalgame entre un accessoire phonétique (problèmes
liés à la prononciation des versets coraniques,
inhérents à l'articulation des arabophones non
maternels) et la foi véritable. Ainsi, entendant un
conciliabule de soldats qui voulaient convenir d'une
heure précise pour attenter à sa vie, Mahamadou SY vit
phonétiquement sa plénitude islamique : "ils se
donnent rendez-vous pour une heure du matin (...) Rien
n'a plus d'importance. M'appliquer dans la
prononciation des versets et veiller à ne pas les
déformer sont mes soucis du moment. Je me prépare à la
mort. Ils peuvent venir maintenant s'ils veulent, je
suis déjà prêt." (page: )
Sans doute faut-il toujours s'ingénier à prononcer
correctement les langues que l’on apprend ou que l’on
parle; mais, il est de notoriété publique que la
tendance générale, lorsque qu'on parle une langue
étrangère, est de remettre involontairement en cause
certaines de ses distinctions phonologiques: ce n'est
pas pour rien que les Arabes appellent leur langue
"loughghatou ad-dâd", du nom d'un « d» emphatique
vélarisé, qui est un vrai casse-tête phonétique pour
les étrangers. D'ailleurs, la dialectologie de l'arabe
révèle que ce son est réalisé comme une interdentale
sonore ("az-zâ'ou") dans certaines parties du monde
arabe (Tunisie, par exemple.)
Plus qu'un banal problème phonétique, il s'agit d'un
sentiment plus général de "diminution" de soi devant
le CIVILISATEUR «BLANC», dont la superstructure
totalitaire est sublimée par le NOIR: c'est le
phénomène de "lactification du monde" que décrit
brillamment Frantz FANON.(5)
A cette pathologique "rétraction" du moi du dominé,
dont la conscience est inhibée par des rapports de
force historiques aliénants, un seul antidote :
"conscienciser l'inconscient" de l'aliéné, selon
Fanon. Il s'agirait, pour le Négro-mauritanien qui
considère l'islam comme "un horizon indépassable",
d'ETRE L'AUTRE en RESTANT SOI; plus précisément, de
RESTER SOI en ETANT L'AUTRE de manière contingente. Il
faut, en somme, avoir un regard ironique salutaire.
SENGHOR, chantre et théoricien de "Négritude et
arabité"(6) , "Négritude et Normandité", etc., dirait:
"assimiler, non être assimilés." (7)
Ce hiatus entre l'attitude centripète des prisonniers
en quête permanente d'une référence centrale commune
(ALLAH) et celle, centrifuge, des bourreaux qui les en
bannissent, a partie liée aux travers de certains
"Seigneurs du Désert", que le Coran ne stigmatise
guère moins que par un superlatif:
«Les Bédouins sont les plus forts en mécréance et en
hypocrisie, les plus propres aussi à méconnaître les
bornes dans ce que Dieu fait descendre sur son
messager.» (8)
"al'a'râbou achaddou koufrane wa nifâqane wa ajdarou
'allâ ya'lamoû houdoûda mâ 'anzala al-lâh 'alâ
rassoûlihî" ( Sourate at-tawba, numéro 9, verset 97)
Lorsque cette perdition se double chez le bédouin de
fraîche date d'une crise identitaire, la
classification, entre la race humaine et celle des
camélidés, est étonnamment brouillée. Ainsi, chamelier
impénitent devant l'ETERNEL, Ould Demba attache
Mahamadou SY comme un dromadaire, tel qu'il le tient
de ses maîtres: "Cela ne m'exempte bien entendu pas de
ma séance d'étranglement par le caporal. Je suis
ensuite couché sur le ventre, pieds et mains reliés
dans le dos. Le caporal Ould demba serre les noeuds du
mieux qu'il peut et dit: "c'est comme ça que j'ai
appris à attacher les chameaux récalcitrants." Ils
s'en vont satisfaits de leur travail. Les cordes sont
si serrées, qu'en quelques minutes le sang ne circule
plus dans mes veines et mes pieds. La douleur est si
insupportable que je ne tarde pas à crier de toutes
mes forces. (...) [Le sous-officier Jemal Ould Moïlid]
ordonne cependant qu'on me les desserre (...) Je
viens, sans le savoir, d'échapper à une mort lente,
mais certaine." (pages :58-59)
Déboussolé à cause des errements sanguinaires des
bourreaux, le lecteur "perd un peu de son arabe" et
arrête net sa lecture: "On m'asperge d'eau sale et
puante. J'entends un moteur tourner et sens un goût
âcre de fumée de gasoil au fond de ma gorge. Le
camion, une Mercedes type 11/13, se met à rouler.
J'essaie de suivre en courant, mais cela ne peut durer
longtemps avec des pieds enchaînés et qu'en plus il
faut courir à reculons. J'ai le dos tourné au camion
et ne tarde pas à être traîné (...) Je suis redressé
et attaché à la portière arrière du camion." ( page :
95)
Mahamadou SY vient d'échapper encore miraculeusement à
"une mort certaine"!! "L'épreuve des voitures"
consiste à obliger un prisonnier, solidement maintenu
par une corde derrière un camion, à courir "à
reculons", avant d'être traîné par le véhicule, qui
roule à vive allure!!!
Toujours pas remis du tournis des faits abominables de
l'univers concentrationnaire d'Inal, le lecteur renoue
avec le fil d'Ariane de la narration macabre, qui le
conduit cette fois au camp de "Jreïda", "à une
trentaine de kilomètres de Nouakchott," où, avec
d'autres militaires, Mahamadou SY finit par être
transféré.
La situation carcérale y est, malheureusement,
rigoureusement la même que dans les autres camps
d'extermination du pays. Pour vous édifier, voici un
panel sur le tableau de chasse funeste
"Mors-rient-âniens" ou bourreaux:
- PRISONNIERS ENTERRES VIFS !!
Ely Ould Dah et le lieutenant Samory Ould Youmbaba
"demandent aux suppliciés de recopier des aveux qu'ils
leur dictent. Beaucoup de prisonniers sont morts sous
la torture ou sont enterrés vivants (!!) sous le
regard indifférent de ces deux officiers." (page: 161)
- AVEUGLES, PUIS ENTERRES VIFS !!
"Le sergent-chef Anne Abdoulaye est aveuglé et
paralysé. Ses deux jambes ont été brûlées sur un
bûcher et des tisons ont été appliqués sur ses yeux."
(!!!)
- MORTS TRAINES A TERRE PAR DES VOITURES !!!
"Le sergent Amadou meurt tracté derrière un véhicule."
(!!) ( page:171)
- ENTERRES JUSQU'AU COU ET ABANDONNES !!
Le sergent GAYE Dahirou "a été arrêté et torturé par
le lieutenant Ely Ould Dah, le sergent Merzouk et un
sous-officier, l'infirmier Abdy Ould Mohamed (...) Ils
l'ont enterré jusqu'au cou et laissé sous un soleil
ardent." (!!) (page: 173)
- MORTS PAR ELECTROCUTION !!
Le lieutenant SARRE fut arrêté en fin novembre et
mourut électrocuté une semaine plus tard."(!!) (page :
158)
Entre les psychopathes de Jreïda et ceux d'Inal, c'est
"bonnet blanc et blanc bonnet":
- PENDUS SELON LES HUMEURS DES ORDURES D'INAL !!!
"A Inal, l'adjudant BASS était relié à un autre
prisonnier par une chaîne. Souleymane Ould Eleyatt
demande à un collègue de détacher le compagnon de Bass
pour la corvée de la cuisine. Bass croyant qu'on
parlait de lui, demande de quoi il s'agit. Souleymane
lui dit de ne plus l'interrompre quand il parle. Bass
essaie alors de s'expliquer. Souleymane le traîne vers
le hangar, où il le pend purement et simplement. Il
est mort à Inal le 24 ou le 25 novembre." (!!) (page :
142)
- PENDUS "PAR LES PIEDS" ET FOUETTES A MORT !!!
"Ba Thierno a combattu pour la Mauritanie et a payé
trois ans de sa vie dans les prisons de l'ennemi pour
sa patrie et aurait même pu donner plus (...) C'est
aujourd'hui les soldats aux côtés desquels il a
toujours combattu au nom de cette Mauritanie commune,
ses frères d'armes, qui le tuent dans cette patrie
qu'il a si chèrement défendue (...) Comme Bâ Alassane,
il [SY Hamet] meurt après un passage aux ateliers. La
veille, il a été pendu par les pieds et fouetté
presque à mort." (!!!) (page : 140)
- BASTONNADE A MORT !!!
Souleymane Ould Eleyatt "prend ensuite à plusieurs
reprises son élan, comme un tireur de penalty, et
vient lui donner un coup de pied presque toujours au
même endroit. Le prisonnier crie de plus belle.
Souleymane ramasse un bâton, qu'il avait déposé pas
loin, et se met à le taper. "Silence, silence,
vreikh", crie-t-il. Le bâton se casse; il prend une
planche et continue. Il y met un tel acharnement que
les plaintes deviennent de plus en plus faibles pour
ne devenir que des gémissements; puis, c'est le
silence. Alors, Souleymane, essoufflé et trempé de
sueur, ramasse sa casquette, tire le cadavre par les
pieds, laissant derrière lui une traînée de sang sur
le sol; il l'abandonne plus loin, à côté d'un autre
corps tout près d'un véhicule et s'éloigne sans un
regard pour les autres prisonniers." (!!) (page: 88)
Il serait fastidieux de dresser une liste, tant soit
peu exhaustive, des crimes, aussi odieux les uns que
les autres, commis par les bourreaux. Mais, on ne
saurait passer sous silence cette date du 28 novembre
1990 (trentième anniversaire de l’indépendance), qui
vit 28 militaires négro-mauritaniens numérotés comme
du bétail et pendus froidement par la scélérate
soldatesque hitlérienne de Taya, président de la
République islamique de Mauritanie.
Il faut plus que le talent d'un tératologue ou d'un
psychanalyste docteur ès-primates pour s'élever à la
hauteur de la pensée de nos illuminés vandales qui,
pour magnifier la GRANDEUR DE LEUR NATION,(9) n'ont
rien trouvé de mieux que de pendre 28
Négro-mauritaniens !
Cette ritualisation de la purification ethnique, avec
une symbolique religieuse des chiffres (28 novembre,
donc 28 pendaisons), marque de manière emblématique
l'entrée de la Mauritanie dans une ère de racisme
messianique contre le péril noir et montre une
troublante similitude avec ce que l'on a appelé en
Allemagne, dans les années trente, "La nuit de
cristal."
C'est de Jreïda que le mur du silence sur ces
iniquités d'un autre âge est rompu, grâce notamment à
Cheikh Fall, qui divulgue le secret des camps
d’extermination à la mauritanienne: "un sous-officier,
l'adjudant Cheikf Fall, qui travaillait à Jreïda, a
dévoilé tout sur les antennes de Radio France
internationale. Après avoir assisté aux arrestations
et vu les traitements réservés aux prisonniers, Cheikh
Fall est envoyé en France pour suivre un stage. Quand
il arrive à Paris, il est tellement choqué par la
situation qu'il a laissée derrière lui, qu'il décide
de dénoncer le racisme d'Etat, la barbarie et les
horreurs érigées en règle dans son pays. Sa
déclaration est relayée par plusieurs radios. A
Nouakchott, c'est la panique générale; on crie au
scandale." ( page: 164)
C'est ainsi que, sous la pression internationale, le
14 avril 1991, à Jreïda "de retentissants coups sont
frappés aux portes des cellules. La nôtre est ouverte
et une lumière émanant d'une torche se promène sur
nous. La voix du capitaine Moctar me parvient à
travers un voile de sommeil: "aujourd'hui, c'est la
fête du ramadan; en ce jour sacré, le président de la
République vous a pardonnés. Le chef d'Etat-major me
charge de vous dire d'oublier ce qui s'est passé et
qu'en bons musulmans, vous devez mettre tout cela sur
le compte de la fatalité. (...) je lui réponds: "il
est vraiment très fort, le président; il nous arrête,
nous torture, nous tue et c'est lui qui nous
pardonne!" ( page: 167).
Les paroles du chef de l'Etat-major se passent de
commentaire. Passé maître dans l'art consommé de
manipuler opportunément les signes (judaïté et
islamité circonstancielles des Noirs de Mauritanie),
le pouvoir mauritanien ruse même avec la linéarité du
temps. Pour cela, un seul artifice: s'extraire de la
temporalité commune des HUMAINS, avec son système
éthique rigoureux fait de droits et de devoirs, et
opérer une parenthèse temporelle (le temps que dure le
massacre des "sales Juifs".) Une fois l'hécatombe
accomplie, l'appétit meurtrier assouvi, comme par un
coup de baguette magique, l'HISTOIRE reprend son cours
: les Noirs mauritaniens cessent d'être de "sales
Juifs".
Le mécanisme élémentaire du fonctionnement de cette
BELLE IMPOSTURE ayant montré ses limites, il faut
refonder la Mauritanie sur un autre socle que celui
des simples rengaines patriotiques creuses (que les
instituteurs s'évertuent à inculquer aux enfants de
l'école primaire) autour d'une certaine "NATION
mauritanienne", dont tout le monde sait qu'elle
n'existe pas encore:
«Bi haqqi al-kitâb wa haqq al-watâne!», «au nom de la
vérité du Livre(10) et de la patrie (ou de la nation)»
Oublié l'âge romantique de mon enfance scolaire, celui
de mes "'assâtîza » (maîtres) :
"Hâzâ 'akhîrou nawminâ
Bilâdounâ lâ tachtakî
Chabâbounâ, Noufoûssounâ,'arwâhounâ, Koulloune lak!"
"Cet [instant] est le dernier de notre sommeil !
Notre pays, ne te plains pas !
Notre jeunesse Corps (11) et âme T'es dévouée !"
PS: mes condoléances à toute la communauté
négro-africaine, touchée par ce massacre prémédité et
savamment organisé. Un grand hommage à Mahamadou SY
pour son précieux témoignage.
Mohamadou Saidou TOURE, Avril 2002.
REFERENCES:
1- Le Saint Coran, sourate : « Le figuier », numéro 95
; versets 3 et 4. Traduction de Muhammad Hamidullah,
Beyrouth 1973.
2-Faute d'avoir un logiciel pour une translittération
scientifique des caractères arabes, nous avons recouru
à l'alphabet français, dont l'inconvénient est qu'il
confond beaucoup de phonèmes. Nous nous en excusons
auprès des lecteurs.
3- Le Saint Coran, sourate ya sin, numéro 36 ; Verset
54.
4- Le Saint Coran, sourate : Le vendredi, numéro 62;
verset 5
5- L'auteur de Peau noire masques blancs, Paris,
édition du seuil, 1971, 190 pages (première édition
1952). Il s’agit, dans le contexte antillais
qu’analyse Fanon, de « l’esclave noir » aliéné par
l’idéologie de son « maître blanc ». L’aliénation
étant liée à une domination historique et sociale, les
notions de « Blanc » et de « Noir » ne sont donc pas
fondamentalement des catégories épidermiques. Il
s’agit, avant tout, de catégories sociales de
l’oppresseur et de l’opprimé. Ce serait donc hâtif de
vouloir y voir une opposition schématique entre les
peuples. La mise au point de Fanon est, à cet égard,
très éloquente : « Le problème envisagé ici se situe
dans la temporalité. Seront désaliénés Nègres et
Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans
la Tour substantialisée du passé (….) Chaque fois
qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit,
chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative
d’asservissement de son semblable, je me suis senti
solidaire de son acte. »
6- Senghor : «Je conclurai : il faut que nous restions
nous-mêmes d'une part, que, d'autre part, nous allions
vers l'Autre. Pour donner et recevoir. IL faut que
vous restiez Arabes. Sans quoi, vous n'auriez rien à
nous donner (...). Mais il faut que nous restions,
nous autres, au sud du Sahara, des Nègres. Je précise
: des Négro Africains, c'est à dire que nous nous
abreuvions, chaque jour, aux sources jaillissantes du
rythme et de l'image-symbole (...). il faut que, vous
aussi, vous continuiez à recevoir les alluvions du
Nil, ces vagues de têtes laineuses, de peaux noires,
qui montent vers le Nord, en suivant la vallée du Nil.
Car ce sont ces alluvions de la civilisation
négro-africaine qui vous empêchent de vous dessécher
dans l'abstraction du logos grec, de la ratio latine.
(...), encore une fois, je ne vous dis pas de renier
l'Arabisme; je vous dis de vous enraciner dans
l'Arabité. Mais je vous demande de regarder vers le
sud, comme nous regardons vers le nord, pour que
l'équilibre de l'Humanisme du XXème siècle plane sur
le destin de l'Afrique». cf. «Les fondements de
l'africanité ou Négritude et Arabité» in Liberté 3.
Négritude et civilisation de l'Universel pp 105-150,
Paris, Le Seuil, 1977, 573 p)
7- Senghor, Liberté 1. Négritude et humanisme. Paris
le seuil, 1964, 445 p.
8- Le Saint Coran, sourate Le repentir, numéro 9 ;
verset : 97.
9- «Nation arabe une et investie d'une mission
éternelle», devise du «Baath» (résurrection en arabe),
le nom des partis nationalistes arabes au pouvoir en
Irak et Syrie. Pour de plus amples informations sur
l'idéologie du Baath, lire les écrits politiques de
Michel AFLAQ, l'un des théoriciens et fondateurs du
«baathisme». Consulter : Fii sabiili al-baath.
Assiyaassiya al kaamila de Michel AFLAQ. Cet ouvrage
est en plusieurs volumes. Une traduction française
partielle des écrits de Michel AFLAQ est disponible à
l’IMA (l’Institut du Monde Arabe de Paris), dont celle
du célèbre article « ar-rissâla al-khâlida » , « La
mission éternelle [du Peuple arabe] ».
10- Le « LIVRE » désigne le Coran. Il s’agit du début
d’un chant patriotique, que j’ai appris à l’école
primaire, en Mauritanie.
11- Dans le texte arabe, le mot corps n'est pas
employé. On utilise deux synonymes du mot "âme". Il
s’agit d’un autre chant patriotique, que j’ai appris
également à l’école primaire, en Mauritanie. C’est une
apostrophe adressée à la patrie pour laquelle il est
question de se dévouer, en puisant ses ressources dans
la FOI des citoyens (« noufoûssounâ) et dans l’énergie
physique de la « Nation », en l’occurrence sa jeunesse
(chabâbounâ).
Mohamdou Saidou TOURE, Paris, 2002.
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