De l'absolue nécessité de la copie privée

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Christian LAVIGNE

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Mar 7, 2006, 9:22:37 AM3/7/06
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De l'absolue nécessité de la copie privée

 
La semaine dernière, en plein carnaval, le jour même du Mardi Gras, le 28 février dernier, les sévères magistrats de la Cour de Cassation n'y tinrent plus : il fallait qu'ils participent aux réjouissances. Ils remplacèrent donc leurs habituelles toques par de fort seyants bonnets d'ânes, et décidèrent de restreindre le droit à la copie privée des DVD, par un coup d' "arrêt de principe" (dixit Le Monde du 3 mars 2006), une ruade bien conforme à l'entêtement de l'équidé susmentionné.

Un quidam s'était plaint de ne pouvoir copier pour son usage personnel un film acheté en forme de galette (dans tous les sens du terme) produite par Studio Canal. La cour d'Appel lui avait donné raison, celle de Cassation, influencée par Vaval, lui donne donc tort. Bien évidemment, les producteurs et diffuseurs d'œuvres audiovisuelles se réjouissent de cette décision, qui plus est au moment de la reprise des débats parlementaires sur la loi DADVSI.

Le cortège de ces mercantis, producteurs, diffuseurs et autres ayants droit, arbore des costumes intellectuels de circonstance : l'un jargonne sur "la copie privée ne constituant qu'une exception légale aux droits d'auteurs", un autre nous assène "la convention de Berne sur la protection des œuvres artistiques et littéraires", un autre encore agite "l'importance économique de l'exploitation de l'œuvre"...En un chœur magnifique, les voix de la morale, de la loi et du marché nous disent la messe au nom de l'art et des artistes.

Comme disait en substance l'ami Pierre DAC, "saluons le courage des résistants de la dernière heure qui ont su attendre avec patience le moment opportun "! Nous, les artistes, nous ne nous doutions pas que nous avions tant d'amis. Voilà des gens prêts à nous défendre, à faire valoir nos droits, et la majorité d'entre nous n'en savait rien ! La majorité, je veux dire les comédiens sans rôle, les cinéastes sans producteur, les musiciens sans label, les peintres sans galerie, les écrivains dans éditeur, les poètes qui cachent leur poésie comme une maladie honteuse...

Une directive européenne, négligée en France depuis deux ans, réveille subitement les consciences endormies, une kyrielle de Bernadette SOUBIROU voit apparaître l'image glorieuse de l'art menacé par des démons électroniques. Va de retro, Internaute P-to-Piste !

Un citoyen naïf, et intéressé par d'autres formes de culture que celle des matchs OM-PSG ou du dernier single de Lorie, pourrait se dire : <<voilà une bonne occasion de débattre la place de l'art dans notre société, le sort des créateurs d'aujourd'hui, les rapports nouveaux à instaurer entre l'économie et la culture, etc.>>. Le citoyen naïf pourrait imaginer moult rencontres, discussions et concertations entre les intéressés...Mais non, il parait qu'on n'a pas de temps à perdre, que le législateur doit légiférer en urgence, bref, qu'il y a péril en la demeure. Non seulement il faut se conformer à une décision européenne, mais encore il faut, nous dit-on,  protéger et soutenir la diversité de la création artistique. Admirable dessein...en forme de trompe-l'œil.

Car en vérité, grâce à l'école de la République, le citoyen, même naïf, sait lire et comprendre. Avant tout, le projet de loi DADVSI ne s'intéresse essentiellement qu'au domaine des arts industriels de la musique (phonogrammes) et du cinéma (vidéogrammes), c'est-à-dire qu'il passe sous silence le "reste" des arts électroniques, et ne témoigne d'aucune considération, d'aucune intelligence quant à l'avenir de ces disciplines. Quand je dis par exemple que depuis 1995 les sculpteurs sont capables de faire de la télésculpture, c'est-à-dire de transmettre leurs œuvres via Internet pour les matérialiser sur des imprimantes 3D, mes interlocuteurs, et non des moindres, ouvrent des yeux binaires sur la position 0.

Il s'agit donc d'un projet de loi taillé sur mesure pour les Majors Companies, qui ont superbement raté le développement de l'Internet, et prétendent défendre les "artistes" pour en fait sauvegarder leurs intérêts propres dans un système de production et de distribution dont ils cherchent à nous faire croire qu'il est indispensable et qu'il a courageusement favorisé la diversité culturelle. Ouvrez vos radios et vos télés, vous verrez la belle diversité ! Le tour de passe-passe est encore plus fort quand on voit la figure du Commandeur de la FNAC tenir d'une main un graveur de DVD (en promotion à 129 Euros), et de l'autre une galette musicale ou cinématographique dont il prétend vouloir bannir la copie, sauver les droits d'auteur !

Hier soir, je fouillais ma bibliothèque dans le coin "art et mécénat", et je retrouvai un numéro de la revue FEUILLE (les Editions de la SEITA – parties en fumée) daté de 1985, au moment de la Loi Lang qui instaurait la fameuse redevance sur la copie privée. Page 34 on peut lire : <<La copie privée nuisait à la vente de disques, de cassettes pré-enregistrées, et à la fréquentation des salles de cinéma.>>. Ah bon, déjà ? Mais alors, c'est cette taxe globale sur les bonnes vieilles cassettes qui a sauvé la musique et le ciné ?! Si on reprend aujourd'hui les mêmes arguments alarmistes, qu'on reprenne aussi les mêmes solutions, qui ont visiblement fait leur preuve. Je dois malheureusement ajouter, en tant que plasticien, que cette redevance est devenue parfaitement inique, dans la mesure où elle revient à des sociétés de gestion qui ne me concernent en rien. Lorsqu'un photographe, un infographiste, un artiste multimédia, un cybersculpteur, achète un disque dur, une clé USB, un support vierge quelconque pour enregistrer et faire connaître son propre travail, il paye une taxe qui sert à aider (soi-disant) et à rémunérer ... des musiciens ! C'est curieux comme les gens du show-biz ne nous remercient jamais de cette solidarité à sens unique.

Pour ce qui concerne la Toile, ce problème de répartition équitable des droits n'est évidemment pas réglé par le projet de loi DADVSI, et pas davantage par le projet de Licence Globale. Seul le projet de Mécénat Global proposé par le Dr. Francis MUGUET, du Groupe de Travail de la société Civile sur  les Droits d'Auteurs, les Brevets et les Marques, au SMSI, résout la question en demandant aux internautes eux-mêmes de désigner, dans le cadre d'une cotisation mensuelle collectée par leurs FAI, les auteurs de toutes disciplines à qui ils entendent attribuer les parts de cette nouvelle sorte de redevance. Le seul ennui, c'est que ce système est parfaitement transparent et démocratique...

Moi, poète, photographe et cybersculpteur, je dénie le droit au Ministère de la Culture et aux organismes que j'entends et lis dans les médias depuis des semaines sur ce projet de loi, je leur dénie le droit de parler en mon nom, au nom des "artistes" en général. Et je ne suis pas le seul ! Car ce cortège de "protecteurs" avance masqué, défend des intérêts partiels et partiaux qui ne sont pas ceux de la Culture, et met gravement en péril notre patrimoine artistique futur. La vision purement mercantile de la création intellectuelle, vision qui est au centre de leurs querelles de chiffonniers, conduit logiquement à transformer toute œuvre d'art en simple produit de consommation, c'est-à-dire, et j'aborde un point capital dont personne n'a parlé me semble-t-il, en un produit volatile, éphémère, intransmissible, voué à la disparition totale.

Un certain Michel GOMEZ, délégué général de la Société Civile des Auteurs-Producteurs-Réalisateurs, se félicitait dans l'article du Monde déjà mentionné qu' "à l'avenir les technologies devraient permettre de limiter les copies de DVD à un seul exemplaire" (sic).  Bêtise ou cynisme ? Faut-il rappeler à tous ces ignares le rôle fondamental qu'a joué la copie dans la diffusion de la culture depuis des temps immémoriaux ? Où en serions-nous si les Romains n'avaient pas recopié les oeuvres grecques, les Arabes les sciences et la philosophie antiques, les moines les anciens manuscrits, où en serions-nous si des hommes n'avaient pas de tous temps essayé de s'approprier, de copier et de diffuser les meilleures créations pour les sauver de l'oubli et du néant – et cela quelquefois, dans les époques sombres, au péril de leur vie ? Et fallait-il que GUTENBERG renonce à l'imprimerie pour ne point déplaire aux corporations d'enlumineurs, que NIEPCE et DAGUERRE renoncent à faire connaître la photo pour ne pas ennuyer les peintres portraitistes ?...

Ah oui, certes il convient de protéger les auteurs, de reconnaître leurs droits, de rémunérer leur création, mais pour les artistes d'aujourd'hui c'est faire injure à leur travail et à ceux qui l'apprécient que de restreindre la copie privée. Pourquoi ? Imaginez simplement que vous achetiez un tableau de maître...qui s'efface d'année en année ! Au bout de 5 ans, dix ans, plus rien sur la toile ! Non seulement vous perdez la jouissance d'une œuvre qui vous est chère, non seulement vos enfants ou vos héritiers ne connaîtrons ni votre goût ni votre investissement, mais encore la société aura perdu une œuvre d 'art, sera incapable de passer le témoin à un autre créateur. Voilà tout ce que nous promettent les lois en débat, la jurisprudence de la Cour de Cassation et les restrictions techniques en vue.

Car, citoyens, on vous trompe : le virtuel n'est pas l'éternel, et le numérique est plus fragile que le papier ! Vous qui avez peut-être eu le plaisir de retrouver un jour, dans le grenier des grands-parents, de vieilles photos de famille ou des disques en cire pour phonographe, je vous garanti, hélas!, que vos petits enfants n'auront pas cette joie avec vos tirages d'imprimantes, vos CD, vos cartes mémoires et autres disques durs : tous ces supports sont hautement instables, et deviennent rapidement illisibles, soit parce que leurs composants sont fragiles, soit parce qu'ils ne peuvent plus être décodés au bout de quelques générations d'ordinateurs, machines elles-mêmes sujettes à des pannes et plantages ...que vous ne connaissez déjà que trop bien !

Tant du point de vue de l'amateur d'art que de l'artiste lui-même (s'il souhaite que son travail reste un peu dans les mémoires – humaines et informatiques) il est absolument inadmissible de restreindre la copie privée. Bien au contraire, il faut l'encourager, passer si besoin d'un support à un autre, changer de format le moment venu.

L'Art ça n'est pas du papier-cul avec lequel on se torche la cervelle et qu'on jette après usage.

Protégez l'art, recopiez-le !

Mais aussi, soyez curieux, trouvez et défendez sur Internet les artistes que vous aimez ou que vous aimerez.

 Christian LAVIGNE, artiste multimédia, Paris, 5-7 mars 2006.

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Christian LAVIGNE
E-Toile d'Or 2006 : www.arsmathematica.org/etoiles/e-toiles.htm
http://www.toile-metisse.org/cl/
lav...@toile-metisse.org
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Président de TOILE METISSE
ONG agréée par l'Agence de la Francophonie
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Secrétaire Général d'Ars Mathématica
Co-fondateur d'INTERSCULPT
http://www.intersculpt.org
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écrivain & artiste multimedia
robosculpture & télésculpture
conseil technologique
Cybersculpture & Co : http://impression3d.free.fr
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