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Milice, film noir (version longue) Partie 3

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Patoultan

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Mar 30, 2009, 7:47:30 PM3/30/09
to

[Suite]

Chapitre 3 - La Terreur et la chute (1944-1945)

<Blaise Giraudi :
<A Paris, je suis arrêté deux jours après le débarquement, en
<mission, au 135 de la rue Blomet, au domicile des Levallois,
<qui est un lieu où se retrouvent différents mouvements de
<Résistance, certainement beaucoup trop nombreux, et où une
<souricière a été dressée par les brigades spéciales de la
<Milice. La 2e BS avait comme torture la magnéto électrique.
<C'était l'utilisation d'une magnéto, avec deux fils qu'on branche
<sur le corps, lorsque vous êtes tout nu - c'est la première
<opération : "Mets-toi à poil !", voilà ce qu'on nous a dit, ce qu'on
<m'avait dit -, et on branche deux fils, un fil aux orteils et un fil
<aux doigts, et on tourne la magnéto électrique, et vous recevez
<des décharges qui sont extrêmement douloureuses, qui peuvent
<entraîner la mort pour quelqu'un de cardiaque, et auxquelles on
<résiste plus ou moins bien. D'autres brigades avaient d'autres
<méthodes, la baignoire, les coups, et dont on voyait les résultats
<lorsque tout le monde se retrouvait à nouveau enfermé dans les
<cellules du sous-sol. Et le deuxième aspect de la torture, c'est
<que nous avions la visite tous les soirs de ces messieurs les
<inspecteurs de la Milice, plus ou moins éméchés, sortant des
<boîtes de nuit et nous passant systématiquement à tabac, soit
<pour se venger, soit pour s'amuser. Enfin, il faut avoir vécu ces
<choses-là pour les mesurer et les ressentir même encore
<aujourd'hui.

<Texte :
<A la suite de son arrestation par la Milice, Blaise Giraudi a été
<déporté à Buchenwald.

<Commentaire :
<Les Alliés progressent en Normandie malgré la forte résistance
<des Allemands. Cependant,
dans plusieurs régions en France, les maquisards sont passés à
l'offensive dès l'annonce du débarquement. A Saint-Amand-Montrond,
dans le Cher, ils ont attaqué et pris l'hôtel particulier où siégeait la
Milice. Ils y ont capturé huit francs-gardes, des miliciennes, et la
famille de Francis Bout de l'An. En effet, dans ces pièces aujourd'hui
inhabitées, vivaient la mère du secrétaire général adjoint de la Milice,
ainsi que son épouse et leurs deux enfants en bas âge. Aucun
sévice n'a été exercé sur les prisonniers. La mère et les enfants
de Francis Bout de l'An ont été conduits à l'hôpital, et sa femme
Simone à la mairie, avec les autres prisonniers, dont le nombre
a grossi après de nouvelles arrestations en ville.

Georges Rouchouze :
J'ai reçu un coup de téléphone de Bout de l'An qu'était à Paris.
J'ai dit : "Bon, allez, allez, allez hop ! On fout le camp, hein!
On va à Saint-Amand, il faut aller chercher Mme Bout de l'An
et ses gosses !" Alors Bout de l'An m'a dit : "Ne bouge pas !
J'arrive cette nuit." Il est arrivé dans la nuit, et il y a eu un
bataillon de parachutistes allemands qui est venu prêter main
forte de Moulins. Et ils ont encerclé Saint-Amand.

Emile Augonnet :
Comme on dit vulgairement, on a dit : "ça sent mauvais", hein, et
le départ a été décidé pour la nuit du 7 au 8 juin 44. Alors dans la
nuit du 7 au 8, tous les camions que nous avions se sont rassem-
blés, tous les gens sont montés dans les camions. En ce qui me
concerne, on est venu me chercher à la mairie, où je me trouvais
avec hélas tous les gens dont j'avais la surveillance, c'est-à-dire
la fine fleur, toute la Milice.

Georges Rouchouze :
Les Allemands sont arrivés, avec des canons à tir rapide, ils ont
mis le feu à des maisons, etc., etc., et les autres se sont sauvés.

Emile Augonnet :
Les miliciens ont procédé à des arrestations de personnes. Ils ont
arrêté purement et simplement mon père et ma mère, alors mon
père et ma mère faisaient partie des otages qui ont été internés au
château des Brosses, à Vichy, et emmenés par la Milice.

Tzvetan Todorov :
Pour conduire les affaires de libération de sa femme, et plus géné-
ralement pour gérer cette ville de Saint-Amand où ces évènements
se sont produits, Bout de l'An fait un choix lourd de conséquences :
il envoie, là, Joseph Lécussan.

Commentaire :
Joseph Lécussan est dévoré d'alcool et d'antisémitisme. Cet écri-
teau : "Terreur contre terreur, le Juif paie toujours...", a été trouvé
sur le corps de Victor Basch, qu'il a assassiné.

Jean Labouret, ex-standardiste à la sous-préfecture de St Amand-
Montrond, aveugle à la suite d'un accident avant guerre :
Quand Lécussan est arrivé à Saint-Amand, il a convoqué tous les
gens des bureaux qui étaient attenants au sien,
<il a sorti son revolver - il nous a donné la marque, je m'en souviens
<pas -, et il nous a dit : "Voyez, avec ce revolver, j'ai déjà tué une
<vingtaine de Juifs, et je serai encore très capable de m'en servir !"
<Et ensuite, il a dit : "Je vais vous montrer la preuve que ce revolver
<fonctionne très bien."
Il a sorti de sa poche un carnet où étaient reliées des bandes de
peau humaine. Il a dit : "Voyez, j'ai pris ça sur des Juifs que j'ai
tués. C'est de la peau humaine où il y a des tatouages, je l'ai fait
tanner et je le conserve pour le montrer à l'occasion." Moi, j'ai
pas pu voir ces tatouages, mais mes camarades qui les ont vus
étaient pétrifiés.

Georges Rouchouze :
Il n'y avait pas que des saints, et dans une révolution on demande pas
un brevet d'honnêteté ou de douceur. Il vaut mieux faire le boucher
que le veau !

Jean Labouret :
Il y avait des gens qui avaient fait de la prison. Plus leur séjour en
prison avait été long, plus leur grade était important. Quand ils
avaient une dénonciation, par un canal que j'ignore, ils allaient faire
un tour dans la région. Ils étaient très excités, même assez joyeux,
et quand ils revenaient il y en avait qui nous disaient : "Dans le
camion, y'en a un qui sèche." Ça voulait dire qu'ils en avaient tué
un et qu'ils le ramenaient. Sans se poser de questions. C'était pas
des intellectuels.

Commentaire :
Francis Bout de l'An pose un ultimatum : si le maquis ne relâche
pas sa femme dans les 48 heures, il fera fusiller les otages et
raser Saint-Amand. Le maire de la ville, René Sadrin, offre sa
médiation. Il négocie avec les deux camps. Les résistants finis-
sent par libérer les miliciennes. Simone Bout de l'An fait l'éloge de
leurs ravisseurs : "Ils sont, dit-elle, aussi patriotes que nous." Mais
les francs-gardes, eux, restent captifs.

Tzvetan Todorov :
Lécussan se nomme lui-même "Gauleiter", comme il dit, c'est-à-dire
sous-préfet. Il devient sous-préfet, et par là a toutes les forces
administratives à son service. L'une des premières choses dont
il s'occupe, c'est de recenser les Juifs. La rafle est proche, mais
non encore décidée, lorsqu'un évènement particulier viendra accé-
lérer sa décision.

Emile Augonnet :
Notre groupe, qui comportait à peu près deux sections... Nous
étions deux sections à peu près, sous les ordres de Chaillaud,
nous voulions à tout prix regagner le département du Cher, avec
tous les risques que ça comportait, à pied, avec armes et bagages,
ce que nous avons fait, du reste. Mais on pouvait pas traîner avec
nous cette horde de... Alors c'est le lieutenant Chaillaud, a pris
une décision qui lui a été pénible et qui a été pénible à nous tous.
On a dit : "Bon, y'a pas d'autre solution, il faut les tuer. Mais com-
ment les tuer ?" On ne pouvait pas se servir d'une arme à feu. La
moindre arme à feu qui aurait tiré, c'était notre fin à nous, car les
Allemands étaient à quelques centaines de mètres de nous. Alors
la décision a été prise de les pendre avec des cordes de parachutes.
C'est pas glorieux, c'est pas glorieux, on peut pas être fier d'avoir
fait ça, mais c'était notre vie ou la leur. Voilà ce qui s'est passé.
J'étais témoin, j'étais là.

Tzvetan Todorov :
Le soir du 21 juillet, trois camions arrivent de la Gestapo de Bourges,
qui prête main forte à la Milice et à la police municipale de la ville
de Saint-Amand. On se répartit en cinq ou six sections qui partent
chacune dans un quartier particulier pour arrêter les 80 Juifs
qu'on a décidé d'arrêter.

Commentaire :
Les arrestations ont duré toute la nuit. Miliciens et agents français
ou allemands de la Gestapo ont opéré côte à côte. 70 Juifs, hommes,
femmes, enfants, d'abord rassemblés dans une salle de cinéma,
ont été ensuite chargés à coups de poings dans des camions.
Au matin, le convoi est arrivé à la prison de Bourges.

Tzvetan Todorov :
On prétend qu'on envoie ces individus au camp. En réalité, on
laisse pas prendre son dentier à l'un, ses lunettes à l'autre, son
aiguille et fil à repriser à la troisième. Ils sont entassés déjà comme
des corps, mais qui n'ont plus de dignité humaine, mais qui sont
des objets. On les entasse comme des sardines dans une boîte,
et, dès le début, la mort est annoncée. Donc, à ce titre, et plus
que dans aucune autre action que je connaisse, la Milice a
participé à la Solution finale.

Henri Jeanclos :
Le 24 juillet 1944, une camionnette s'arrêta ici. Elle transportait
26 hommes qui venaient de la prison de Bourges. Mon père en
faisait partie. Des miliciens et des Allemands étaient là, et ont
emmené, par groupes de six, les hommes. Il y avait, parmi ces
26, un homme de 85 ans et un jeune de 16 ou 17 ans que j'avais
connu au collège de Saint-Amand. Imaginez-vous des groupes
de six hommes entourés par des Allemands et des Français. Ils
arrivaient les uns derrière les autres, vers le puits qui est devant
moi. Brutalement, ils étaient pris et jetés vivants dans ce puits.

Commentaire :
Les assassins - des gestapistes, répétons-le, allemands et fran-
çais - jettent des pierres et des moellons par-dessus les cadavres
afin d'effacer toute trace. C'est ce que racontera le seul des pri-
sonniers qui, ce jour-là, ait réussi à s'enfuir, Charles Krameisen.

Henri Jeanclos :
Le 8 août, 10 femmes ont été extraites de leur cellule de la prison
de Bourges. Les autorités allemandes avaient demandé des femmes
qui n'avaient pas d'enfant. Deux en avaient : Mme Krameisen, fem-
me de Charles Krameisen, celui qui s'était sauvé le 24 juillet, et ma
mère, qui toutes deux, pour éviter des représailles envers nous,
les enfants, ont dit ne pas en avoir.

[Sur les dix femmes, huit seulement seront tuées, deux ayant
réussi à faire valoir qu'ellse n'étaient pas juives.]

Commentaire :
Pour les miliciens, il est une autre proie facile : les Juifs déjà
détenus, en particulier ces hommes du Front populaire que la
presse d'extrême droite a couverts de boue dans la seconde
moitié des années trente, et contre qui, sous l'Occupation, elle
ne cesse d'en appeler au meurtre. C'est le cas de l'ancien mi-
nistre Jean Zay. Opposé à l'Armistice de juin 40, Jean Zay s'était
embarqué à bord du Massilia. Vichy l'a poursuivi et condamné
pour désertion. Le 16 juin 44, le cabinet de Darnand - Darnand
qui vient juste d'être promu par Laval secrétaire d'État à l'Inté-
rieur -, prend la décision de transférer Jean Zay de la prison de
Riom, où il se trouve, à celle de Melun.

Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay :
Jamais ce genre de transfert n'est opéré par la Milice. En général,
ce sont les gendarmes. Donc il est clair que cet ordre de transfert,
donc signé par Baillet sur ordre de Darnand, est un ordre d'as-
sassinat. De plus, la prison de Melun n'a jamais été avertie d'un
tel transfert. Les miliciens se font passer pour des résistants. Ils
lui disent qu'ils viennent organiser son évasion, donc mon père
les suit en confiance. La voiture s'en va, et près de Cusset les
trois miliciens le font descendre et lui font gravir un sentier qui
va jusqu'à un endroit terriblement sinistre qui s'appelle le puits
du Diable. Là, Develle l'abat d'une rafale de mitraillette, il dévêtit
son corps, il lui retire son alliance, il le jette au fond du puits du
Diable. Ils vont même chercher du plastic à Vichy pour effacer
toute trace.

Texte :
Le corps de Jean Zay ne fut découvert qu'en 1946.

Commentaire :
Bien que la Milice se veuille une chevalerie chrétienne, l'épiscopat
refuse de lui donner des aumôniers. Mais plusieurs prêtres, sans
être aumôniers en titre, ont tenu à remplir cette fonction. Ici, à
Lyon, rue Sainte-Hélène, dans la prison même de la Milice, l'abbé
Vautherin officie. Quand la messe se termine, les tortures repren-
nent.

Louis Goudard :
J'étais à la fois fier de moi, d'avoir tenu le coup, mais en même
temps... dans le même temps se présente à l'esprit l'idée que ça
va recommencer. Alors on se pose une question, je pense que
tout le monde se l'est posé : "Et puis après tout, si je parlais ?"
Mais ça dure une fraction de seconde, parce que dans le même
temps on voit tout de suite les copains qui sont arrêtés à leur tour,
tabassés, torturés, et puis parlant, et puis surtout l'organisation
démolie. Alors on se reprend et on essaye d'échapper mentalement
à sa condition actuelle.

Commentaire :
Le 28 juin, des résistants abattent Philippe Henriot. La nouvelle,
lourde de conséquences, parvient jusque dans les cellules.

Louis Goudard :
J'ai dit : "Pour nous, c'est pas une bonne nouvelle." Et effectivement,
tout l'après-midi du 28, successivement, par cinq fois, on a fait
rentrer dans la cellule des Juifs, et à ceux-là on n'avait enlevé ni
cravates, ni ceintures, ni lacets de souliers. Pour moi, ça confirmait
que nous serions fusillés. Le jour se levant, la porte s'est ouverte,
et dans l'encadrement de la porte, Gonnet, en tenue de chef de
centaine de miliciens, une liste à la main, a fait l'appel de sept
noms de consonance étrangère.

Plaque commémorative :
Ici le 29 juin 1944, sept Juifs ont été assassinés par la Milice de
Vichy complice de la Gestapo.
Ben Zimra Claude 23 ans
Glaeser Léon 56 ans
Krzyzkowski Louis 46 ans
Prock Siegfried 42 ans
Schlisselmann Maurice 64 ans
Zeizig Emile 56 ans
X inconnu non identifié paraissant 25 ans environ

Louis Goudard :
Puis, après les sept noms, Gonnet a appelé le nom de Goudard.
C'est au moment où je sortais de la cellule que j'ai vu Touvier
montant les escaliers, depuis le bas, et nos regards se sont
croisés. Et j'étais donc dans l'alignement contre le mur, à la suite
des sept Juifs, juste en face de la cellule, et Touvier a appelé
Gonnet, ils ont reculé de quelques pas, ils ont discuté à voix
basse, à la suite de quoi Gonnet m'a pris par l'épaule et m'a
repoussé en cellule. Le soir vers 6 heures, distribution de la
soupe. Ça se passait comme ça : il y avait un détenu qui portait
la grande gamelle, et puis un deuxième détenu qui portait le
couvert et puis la petite gamelle pour celui à qui on le destinait,
accompagnés, naturellement, de deux miliciens et leur mitraillette.
Et en me passant la gamelle, il me dit, à voix basse : "Les Juifs
qui étaient avec toi ce matin ont été fusillés, derrière le cimetière
de Rillieux." C'est comme ça que j'ai réalisé que je ne l'avais pas
été parce que je n'étais pas juif.

<Arno Klarsfeld, partie civile au procès Touvier :
<Vichy n'a pas donné un ordre spécifique, bien au contraire, puisque
<Vichy a demandé à ce qu'aucune représailles ne fût prise après la
<mort du ministre de l'Information, mais Vichy est coupable, dans
<le sens où, si Vichy n'avait pas commencé à martyriser les Juifs,
<à les recenser, si Vichy n'avait pas interdit aux Juifs d'être facteur
<ou président du Conseil, si Vichy n'avait pas parqué des Juifs dans
<des camps où ils mouraient de misère physiologique, si Vichy
<n'avait pas donné la police française pour arrêter des enfants juifs
<de 6 mois jusqu'à 18 ans et des vieillards allant jusqu'à 80-90 ans,
<si Vichy n'avait pas fait tout cela, alors dans ces conditions, Paul
<Touvier ne se serait pas cru libre d'agir comme il a agi ce 29 juin
<44.

Commentaire :
Paris, le 1er juillet. Un grandiose hommage est rendu à Philippe
Henriot à la cathédrale Notre-Dame. Darnand est là, entre deux
gardes du corps. Le cardinal Suhard officie. Le Maréchal a fait
déposer une couronne. Et les représailles continuent. Après avoir
été transféré de Buchenwald à la prison de la Santé, Georges
Mandel est conduit par des miliciens en forêt de Fontainebleau.
Soudain, la voiture s'arrête. "Panne de moteur", dit-on. Mandel
descend, il est tué d'une rafale de pistolet-mitrailleur. En cet été
44, Pierre Laval souhaite se désengager un peu de la politique
de Collaboration. Cet assassinat le gêne, il l'empêche de reculer.
Sans doute était-ce le but des Allemands en remettant Mandel à
la Milice. Or, voici que Laval reçoit une lettre, la lettre d'une ado-
lescente de 14 ans.

Claude Mandel :
Monsieur Laval, dans son désarroi et dans sa douleur, celle qui
me tient lieu de mère vous a adressé, il y a dix jours, une lettre
dans laquelle, en bien grande humilité, se rappelant l'offre de vos
bons offices, elle vous demandait des renseignements susceptibles
de l'éclairer sur la mort de mon papa, que nous avons apprise par
les journaux et par la voix publique. Vous n'avez pas daigné faire
diligence pour lui répondre, et sans doute ne le ferez-vous jamais.
Laissez-moi vous dire, monsieur Laval, que je vous comprends :
vous avez honte. Je suis encore bien petite et bien faible à côté
de vous, qui avez des Allemands pour vous défendre. Moi, j'ai les
Français, c'est vrai, et c'est d'ailleurs pourquoi je ne vous demande-
rai pas de comptes, comme j'en aurais le droit. Ils s'en chargeront.
Je veux aussi vous dire, monsieur Laval, que je plains beaucoup
votre fille. Vous allez lui laisser un nom qui marquera dans l'Histoire,
et le mien aussi. Seulement, le mien, ce sera celui d'un martyr
assassiné pour avoir eu trop raison.
Claude Georges-Mandel, hôtel de France, Pau.

Commentaire :
<Laval admoneste Darnand, qui n'a pas ordonné la liquidation de
<Mandel mais couvre ses subordonnés. Aucune sanction n'est
<prise par les deux hommes contre les chefs parisiens de la Milice,
<responsables directs du meurtre.
Les derniers mois de l'Occupation sont les plus cruels. La Résis-
tance se multiplie, et les Allemands, en un dernier sursaut, tentent
de nettoyer la France. Avec ou sans leur concours, la Franc-Garde
opère dans les Alpes, en Bretagne, en Bourgogne, en Limousin,
dans l'Allier. Elle frappe à l'aveugle, et parfois de simples
agriculteurs qui n'appartiennent à aucun maquis.

Joseph Lafay :
Fallait détruire, fallait éventrer. On était déjà prisonniers. Un
cheval étalon, qui servait pour nos travaux puis enfin pour la monte
de nos juments, on le lâche dehors, on lui loge deux balles dans la
peau. Les poules à coups de fusil. Tout pillé, l'argent, les montres...
voilà. Pas de maquisards dans les mains, c'est nous qui avons
été appelés maquisards. Mon frère, moi, le voisin, c'est nous les
terroristes qui pillaient le nord du département, tout au moins sur
le journal.

Manchette de journal :
Au cours d'une opération de nettoyage, les forces du maintien
de l'ordre capturent 18 bandits qui terrorisaient le nord du dépar-
tement de l'Allier.

Joseph Lafay :
Evidemment menottés, dans le camion, le premier qui essaye
de faire un geste, il est abattu, et on se demandait où on allait.

Commentaire :
Joseph Lafay, son frère et leurs compagnons d'infortune sont
emmenés par les miliciens à Vichy, d'abord au Petit Casino, où,
dans les caves, ils sont interrogés brutalement, aussi brutalement
que les hommes du maquis. Puis ils passent par l'hôtel Lardy, fief
de la brigade antiterroriste Poinsot. Enfin, on les enferme au château
des Brosses, cantonnement de la Franc-Garde.

Joseph Lafay :
On se "paye" un château. Il y avait 24 heures qu'on était en cellule,
et quand je dis cellule... le noir. On nous sort, un matin : "Allez,
au mur, tous ! Tous au mur, et que pas un bouge !" Et franche-
ment, j'étais côte à côte avec mon frère, on se touche un peu du
coude : "On y va..." Et finalement, c'était une atroce plaisanterie,
parce qu'en fait on s'attendait de trouver derrière un monticule de
cadavres... On a uriné, ceux qui en ont besoin, enfin bref, c'était
pour nous amuser. Et je vous assure, sans me vanter, qu'on n'avait
pas plus peur que ça, mais pour revenir, on craque. Alors ce petit
jeu, c'est que l'après-midi on passait à l'interrogatoire : fallait nous
assouplir.
<L'interrogatoire a eu lieu.
Quand je suis revenu, j'étais séparé de mon frère. Avec moi, il y
avait un jeune de 17 ans. Ce jeune, un beau jour, on était sorti aux
pluches, il a pas eu droit à sa sortie. Pourquoi ? Pourquoi ? Il a
même jamais passé à l'interrogatoire. Mais ce qu'on a vu, on a vu
arriver la voiture de la Gestapo. Et quand je suis retourné en cellule,
mon petit copain n'y était plus. Mon petit copain n'y était plus, je
reviens un peu en arrière, mais il y avait trois ou quatre autres qui
manquaient, que la Gestapo était venue... C'était suite à l'attentat
à Hitler et fallait faire à nouveau la chasse aux Juifs. Et les Juifs,
ils étaient vite fabriqués : celui-ci, celui-ci, celui-ci, là, ça y est,
et le petit copain, en route...

<Commentaire :
<Sur le front de l'Est, l'armée allemande va de repli en repli. L'Armée
<rouge a reconquis tout le territoire russe et ukrainien. Elle continue
<d'avancer et pénètre en Pologne.

<Olivier de Tissot :
<A l'époque, il y avait des populations entières de Polonais qui
<fuyaient devant l'avance russe, puisque les Russes étaient aussi
<détestés que les Allemands, et donc mon père, qui commandait
<sa compagnie qui tenait un pont, a cru qu'arrivait un flot, un con-
<voi de réfugiés, en pleine nuit. Il s'est avancé pour reconnaître le
<convoi, en fait c'était pas des réfugiés, c'était des Russes. A ce
<moment-là, il y a eu un engagement, la compagnie de mon père
<a été obligée de reculer, et mon père n'est jamais revenu au point
<de rassemblement. Et ensuite Cance, qui était le commandant, a
<essayé de revenir sur les lieux avec sa jeep, enfin sa Volkswagen,
<il a été blessé lui-même, et les Allemands n'ont jamais repris le
<terrain. Et donc après, on n'a plus jamais eu de nouvelles de mon
<père, et comme ils avaient en face d'eux une division d'élite de la
<garde soviétique, et comme ils ne faisaient pas de prisonniers, en
<général, entre SS et gardes soviétiques, on pense que s'il a sur-
<vécu, de toute façon il a dû être abattu sur place.

Commentaire :
A l'ouest comme à l'est, les Allemands reculent. Paris va s'insurger.
Dernier discours de Darnand en France.

Joseph Darnand :
Il n'y a rien à regretter, rien à retrancher de nos actes comme de
notre doctrine. Ces 21 points sont restés et resteront la charte po-
litique de la Milice française. Nous avons condamné la démocratie
de la défaite, nous nous sommes prononcés contre les francs-ma-
çons et les Juifs. Aujourd'hui, mes camarades, le combat décisif
est commencé. Je suis à votre tête et je serai désormais près de
vous, parmi vous pour cette dernière lutte qui, j'en suis sûr, nous
conduira à la victoire.

<Commentaire :
<Dans Paris libéré, le père Bruckberger, passé il y a trois ans de la
<Légion des combattants à la Résistance. Son chemin va bientôt
<re-croiser, mais pour la dernière fois, celui de son ami Joseph Dar-
<nand, qui, à cette heure, prend à peine le temps, dans la confusion
<de la fuite, de venir dire adieu à sa famille de Coligny.

<Gabriel Culat :
<On a vu monsieur Joseph Darnand qui montait à pied, qui avait laissé
<sa voiture devant sa maison. Alors là, il a dit bonjour à sa marraine,
<et puis il nous a serré la main, et puis il nous a dit que c'était le
<dernier coup qu'on le voyait. Et puis après il est redescendu et
<il a pris son auto, et on l'a plus revu. Il était comme un homme
<traqué, quoi...

<Commentaire :
<Presque partout en France, une foule en liesse acclame l'armée
<française retrouvée. Chacun veut fêter cette liberté toute neuve,
<perdue comme par accident dans le cataclysme de la défaite.
L'épuration commence. Elle aussi est cruelle.

Journal de Léon Werth :
25 août. Jamais je n'oublierai ces hommes aux mains jointes sur
la nuque, ces caryatides aux uniformes décolorés dans une pos-
ture de damnés. C'est la victoire. Les larmes me viennent aux yeux,
larmes de délivrance, joie trop forte, joie que je ne peux garder
longtemps en moi sans qu'elle s'altère. Mais je souffre de l'humi-
liation de ces hommes. Elle est nécessaire, elle est selon la justice
même, je l'approuve, elle me satisfait, elle m'apaise... et je ne peux
pas m'en réjouir. Ce sentiment est-il donc si compliqué, si difficile
à saisir ? Ceux à qui je l'ai avoué m'ont tous dit : "Vous oubliez ce
qu'ils ont fait, les assassinats, les tortures !..." Non, je n'oublie
rien, mais un homme humilié, son humiliation est en moi.

<Commentaire :
<A Annecy, les miliciens se sont rendus contre la promesse d'être
<traités en prisonniers de guerre. Ils se retrouvent au Grand-Bornand,
<dans la salle paroissiale, aujourd'hui cinéma. Ils vont y être jugés
<suivant la procédure de cour martiale.

<Henri Moncozet :
<Nous étions réunis dans cette pièce, des inspecteurs de police étaient
<chargés de nous interroger les uns après les autres : pourquoi on était
<rentré dans la Milice, et les opérations auxquelles on avait participé.
<J'avais une grande confiance dans le Maréchal et je l'ai suivi jusqu'au
<bout. J'ai encore confiance en lui, en ses idées.

<Robert Poirson :
<Le jugement prévoyait que nous avions à ne donner que l'acquitte-
<ment ou la peine de mort. Moi, je n'ai jamais pu accepter cette façon
<de voir les choses, et du reste, je pense que sur le plan pénal, les
<juristes diront que c'est un non-sens. Et le plus difficile pour moi,
<ça a été d'accepter, en mon âme et conscience, bien sûr, de juger ces
<gens-là. Au bout d'un certain temps, on nous a emmené pendant
<quelques temps à l'hôtel pour prendre une collation. Ça a duré très
<peu de temps, mais le peu de temps que nous nous sommes ab-
<sentés, à notre retour, pour reprendre notre place, nous nous sommes
<aperçus que les miliciens avaient subi des sévices.Et le plus touché
<était celui qui avait avoué avoir mis une pierre dans le ventre d'un
<détenu, qu'on avait jeté dans le lac pour faire disparaître son corps
<et pour qu'on évite que la population soit au courant de cet incident-
<là.

<Henri Moncozet :
<Je savais pas exactement ce qui me pendait au nez, comme on dit,
<voyez, mais j'avais quand même un peu d'espoir, du fait que celui
<qui faisait le commissaire du gouvernement, ce M... *, avait demandé
<l'acquittement.

[Massindesse ? Pas trouvé le nom exact.]

<Robert Poirson :
<Notre conscience était là, qui nous disait : attention, il y a peut-
<être chez ces gens-là des gens qui n'ont rien fait, alors à nous
<de discerner, dans les interrogatoires qui se déroulaient, ceux qui
<effectivement s'étaient mal conduits, et les autres. Nous, nous
<avions des avocats qui défendaient les accusés. Les cours martiales
<présidées par les miliciens rendaient les mêmes jugements qu'on nous
<demandait sans même avoir interrogé les gens qui passaient devant
<leur tribunal.

<Henri Moncozet :
<76 de mes camarades ont été condamnés, et moi, par exception, avec
<20 autres de mes camarades, j'ai bénéficié de l'acquittement. Je revis
<un peu toute cette soirée passée dans cette salle.

<Commentaire :
<Le 24 août à l'aube, les miliciens condamnés, d'origine paysanne pour
<la plupart, sont amenés aux flancs du Danay, à la lisière d'un bois. Au
<même moment, au puits de Guerry, Charles Krameisen guide la re-
<cherche des cadavres, dont celui de son épouse. La France en état
<de choc découvre la réalité de l'horreur, mais elle tient encore les
<seuls Allemands pour responsables des massacres.


[A suivre]


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