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Une journée dans la vie d'un IS: chronique de la haine ordinaire.

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Machin

unread,
Jun 14, 1998, 3:00:00 AM6/14/98
to

Je suis ingénieur système, je sais je ne devrais pas m'en vanter.
Lorsqu'on me demande quel est mon métier il m'arrive de plus en plus
souvent de répondre "je suis dans l'informatique". Cette vague
formulation a au moins le mérite de m'éviter la lueur
de haine méprisante qui apparaît instantanément dans l'oeil
de l'interlocuteur le mieux disposé au simple énoncé de
mes coupables occupations. Je suis lâche. La prochaine fois
je répondrai tueur à gages, le relâchement des moeurs étant ce
qu'il est, cela devrait moins choquer.

C'est un métier gratifiant à bien des points de vue, c'est
vraisemblablement le seul où le néophyte total, celui qui vient
d'ouvrir son premier carton d'ordinateur se sent en mesure de vous
expliquer votre métier dans le quart d'heure qui suit le montage de sa
bécane.

A ma connaissance conduire une voiture ne transforme personne
en mécanicien, pas plus que raboter une porte ne fait de vous
un ébéniste, mais taper sur un clavier fait de tout un chacun
un informaticien. On n'arrête pas le progrès.


N'allez surtout pas croire que je veux garder pour moi
les clés du savoir et en tenir éloigné le vulgum. Que je regrette
le temps ou les ingénieurs système détenaient le pouvoir
abrités derrière leurs incantations absconses. Nenni.

Bien au contraire, étant d'un naturel assez paresseux, pour ne pas
dire d'une fainéantise crasse, je préfére de très loin un utilisateur
qui se débrouille sans moi.
Mais je reste persuadé qu'informaticien c'est aussi un métier.

Par contre je regrette - parfois - le temps où le métier
consistait à surveiller un Vax, ceux qui ont connu cela savent
à quel point c'était reposant, ou alors à rebooter une station
Unix tous les trente six du mois pour justifier son existence.

Avec l'arrivée des PC et surtout de Windows nous sommes entrés
de plain-pied dans ce que l'on pourrait appeler l'ère du Chapelier
Fou, c'est à dire l'irruption de l'irrationnel dans ce qu'il a de
plus poétique et de moins maîtrisable au beau milieu d'un monde
jusque là bien tenu.
En vertu d'un darwinisme élémentaire il a bien fallu s'adapter.
Aujourd'hui être IS dans le monde merveilleux de PetitMou, c'est
être un hybride monstrueux, un mélange aussi subtil qu'indéfinissable
de chaman, de Ménie Grégoire, de Dédé la Bricole, de Bobologue,
de charlatan et de psychopathe.

Je ne remercierai jamais assez Bill Gates pour avoir transformé
un métier relativement terne et basé sur une approche bêtement
technique et rigoureuse des faits, en challenge quotidien,
nécessitant une remise en question permanente à l'échelle du
quart d'heure.

Quoi de plus stimulant sinon de savoir que résoudre un problème
ne viendra en aucune façon enrichir ce qu'il est convenu d'appeler
l'expérience, puisque le même problème nécessitera lorsqu'il se
posera à nouveau une solution radicalement différente. On évite
ainsi la sclérose intellectuelle consécutive aux automatismes.

Résoudre un problème nécessite une imagination à côté de laquelle le
récit d'un trip sous champignons hallucinogènes pourrait passer
pour le compte-rendu de l'assemblée générale des actionnaires de
la Sociéte Nouvelle des Aciéries Mouchabeuf. Le cartésianisme
n'est pas un atout mais un grave handicap vous empêchant d'aborder
les hypothèses les plus farfelues. Et il faut bien cela quand
après avoir éliminé les causes raisonnables de dysfonctionnement
vous êtes amené à envisager le reste, qui se situe généralement
tout de suite entre les histoires de petit lutin et la quatrième
dimension. La seule chose que je me refuse encore à pratiquer
c'est l'imposition des mains et le voyage à Lourdes, plus par
réaction de mécréant que par doute quant à l'efficacité des
méthodes en question. je sens qu'avec l'arrivée de Windows 98 il
va me falloir opérer une révision déchirante quant à mes convictions
profondes.

Quand je pense que certains recherchent les paradis artificiels, et
que l'on me paye pour être en état perpétuel d'hallucination. La
vie est bien injuste, allez.

Tout cela serait finalement bien monotone s'il n'y avait
l'utilisateur, car il existe l'utilisateur, c'est vous et moi.
Victime d'une intoxication à l'échelle planétaire, d'un gigantesque
et collectif lavage de cerveau il s'imagine qu'il va pouvoir tirer
quelque chose de sa bécane, être productif, voire même dans les cas
les plus graves envisager un retour sur investissement.

Aujourd'hui l'utilisateur perverti par des slogans pernicieux
du style "Jusqu'où irez vous ?" exige que ça marche, et c'est
bien là où tout se gâte, le décalage entre cette légitime
attente et ce que l'illuminé de Redmond est capable d'apporter
me déprime. "Jusqu'où irez vous ?", jusqu'à l'asile le plus
proche sans doute.

Comment voulez vous qu'un truc qui est à un système d'exploitation
ce que Mireille Mathieu est à Edith Piaf, ce bricolage improbable
écrit avec les pieds par une nuée de pervers schizoïdes puisse
fonctionner.

Le mensonge le plus grossier colporté par les sectateurs microsoftiens
est celui selon lequel un PC convenablement équipé de l'inénarrable
Windows et du fourbi Office dont j'ai oublié le millésime car il
change en permanence, fonctionnerait seul et sans assistance.


Le récit d'une journée ordinaire au royaume du Chapelier Fou
contredit quelque peu cette idyllique vision du meilleur des
mondes possible. Ce doit être une question de numéro de version,
sans doute.


Mardi 8 heures
Le calme avant la tempête, je peux l'esprit en repos me consacrer
à un projet qui me tient à coeur; émuler une calculette quatre
opérations sur un Vax de la série 8000. Je tenterai l'inverse
dès que j'aurai mené à bien cette partie.


Mardi 9 heures
Un premier coup de téléphone laconique, "Tu peux venir jeter un
coup d'oeil, mon PC est bloqué", sous cette apparence anodine peut
se dissimuler le cauchemar le plus absolu, les raisons qui peuvent
amener un PC à se bloquer sont légions, la première étant d'appuyer
sur le bouton marche. Je suis d'autant plus inquiet que mon client
est un dingue de la vitesse.
C'est un peu l'équivalent du chauffard , il parle de bus AGP là
où les autres parlent de carburateur double corps, mais la
démarche est la même, aller le plus vite possible en semant la
terreur sur son passage. Profitant d'un instant d'égarement de
son chef de service il a réussi à se faire payer le dernier
Pentium à 333 Mhz, ce qui lui permet de gagner cinq secondes
sur la mise en page de sa feuille de calcul.
C'est comme on le voit une avancée considérable à la mesure de
l'investissement consenti.
Je le trouve un peu déprimé car on annonce déjà le Pentium à
400 Mhz ou plus et il contemple avec amertume ce qu'il considère
déjà comme l'équivalent d'une caisse à savon.

J'essaye de le réconforter en lui disant qu'avec la bête qu'il
possède il devrait éviter d'ouvrir deux fenêtres en même temps
pour ne pas faire de courants d'air. Une boutade bien innocente,
c'est le côté Ménie Grégoire de la profession, mais je sens bien
qu'il n'y croit pas. Les grandes douleurs sont souvent au delà
des mots.

Mais revenons à nos moutons, PC bloqué. Effectivement passé le
démarrage tout ce que nous obtenons c'est un sablier désespérément
figé, je suis tenté de répondre que c'est parfait pour faire des
oeufs à la coque mais quelque chose dans son air égaré me dit que
je ferais aussi bien de me taire.
C'est alors que j'envisage du coin de l'oeil un CD-ROM
offert par PC truc "Mesurez les performances de votre PC", eh oui
ça ne sert à rien d'aller vite encore faut-il pouvoir l'exprimer
en Business Graphics, WinMark 98, High End Disk WinMark 98 et autres
CPUMark32, c'est requis pour humilier à l'heure du café les ploucs
avec leurs Pentium 133.

je lui demande si par le plus grand des hasards il n'aurait pas monté
ce truc là sur sa machine, je connais la réponse. Il est d'ailleurs
mentionné en tout petit sur le CD que l'installation de cette suite
de tests devrait être effectuée sur une machine quasi vierge et pas
sur un système normalement opérationnel, "cela pouvant provoquer
des dysfonctionnements".
Des "dysfonctionnements", tu l'as dit bouffi.
Diagnostic; je t'envoie quelqu'un pour te remettre un système
d'équerre celui-ci étant parti en villégiature à la campagne, pour
une durée indéterminée.
Rendez-vous est pris pour la parution du prochain CD de tests
de PC machin. Au suivant.

Mardi 10 heures
Juste le temps de constater le plantage d'un serveur NT. Quelqu'un
a vraisemblablement éternué devant, c'est très sensible comme
système. Bon, reset, redémarrage, la routine quoi.
Deuxième coup de téléphone "Tu n'aurais pas cinq minutes des fois, il
se passe parfois des choses curieuses sur ma machine".
Connaissant mon correspondant la seule chose curieuse dans tout cela
c'est le parfois, il est stupéfiant que ce ne soit pas toujours.

C'est qu'il s'agit de la variété dite de "l'esthète taquin", épouvanté
par l'uniformité il a installé sur sa machine tous les thèmes
possibles, le pointeur de souris est un calamar, le sablier une
horloge Comtoise, l'économiseur d'écran qui se déclenche toutes les
minutes est un jeu de baston intergalactique avec force sifflements et
explosions. Car il a bien évidemment une carte son.

C'est indispensable pour reproduire le rire de Johny Hallyday
selon les Guignols de l'info, rire qui accompagne les messages
d'avertissement. Tout cela est un peu perturbant.
Ayant de surcroît accès à l'Internet il a récupéré et installé
tous les sharewares possibles, il n'y a plus aucune piéce d'origine
sur sa machine, il a tout remplacé et il est seul à pouvoir s'en
servir. Il est assez surprenant qu'il ne soit obligé de rebooter sa
machine qu'une fois par heure. Je suis peut-être injuste envers
PetitMou.

A l'intérieur de tout grand logiciel il en existe plusieurs petits qui
ne demandent qu'à sortir, là c'est la grande évasion, il suffit de
coller l'oreille contre le boîtier pour les entendre se carapater.
Tout ce joli monde doit se battre en permanence pour prendre le
contrôle du système. C'est un cas désespéré. Je m'en sort lâchement
en lui disant d'aller récupérer sur www.crap.com la dernière version
de son anti-virus/gestionnaire de fichiers/explorateur/compacteur-
/logiciel de sauvegarde/éditeur de textes/navigateur internet, et
me tire vite fait sans toucher à la souris de peur de déclencher
un Tchernobyl dans sa machine. Au suivant.


Mardi 11 heures
De retour dans mon bureau je constate le plantage d'un autre serveur
NT, par solidarité avec le premier sans doute. L'instinct grégaire ou
le début d'un mouvement de revendications. A surveiller.
Autre coup de téléphone, en provenance d'une espèce bien particulière,
la variété qui se shoote à la presse informatique, on ne dira jamais
assez les ravages que cela peut provoquer. Stratège planétaire, il
m'explique comment l'introduction de Java dans les entreprises va
révolutionner la façon dont nous envisageons l'informatique.
Comment Sun va bouffer Microsoft à condition qu'Oracle s'allie
avec Apple et que Compaq ne vienne pas jouer les trouble-fête.
Il me prédit la mort prochaine d'Intel victime de ses challengers,
et écrasé sous son gigantisme.
Au bout d'un moment atterré par toutes ces apocalypses à venir,
je ne sais plus très bien où j'habite et c'est légèrement comateux
que je raccroche en espèrant ardemment que tout cela voudra
bien patienter jusqu'à ma retraite.


Mardi 13 heures
Coup de téléphone angoissée en provenance d'une secrétaire,
"Quand je lance mon Word avec un document que j'ai tapé hier,
j'ai le message suivant; cette application va s'arrêter car
elle a effectuée une opération non conforme", je suis tenté
de lui répondre qu'il s'agit là d'un fonctionnement normal
de l'application, mais je m'abstiens. Son désarroi est sincère
et la perte de plusieurs heures de travail ne porte pas à rire.

Bon en route vers de nouvelles aventures. Cette charmante
personne au demeurant, appartient à la catégorie de ceux
qui considèrent l'introduction de l'informatique dans leur
quotidien comme une calamité. L'espèce de truc ronronnant
qu'on lui a posé sur son bureau est pour elle, visiblement habité par

un esprit hostile et rebelle à toute collaboration avec le genre
humain. Elle a bien essayé de l'apprivoiser en le banalisant, en
installant un pot de fleurs sur le boîtier et la photo de ses gosses
sur l'écran, mais rien n'y fait, habité d'une vie propre
il s'ingénie à lui pourrir l'existence.

Elle serait je crois soulagée, si je suspendais des
gousses d'ail et des crucifix au plafond et
apsergeait sa machine d'eau bénite, c'est le côté
chaman de la profession.

A la vingtième tentative je réussis à charger
son document sans déclencher l'infâmant message
de vacances pour cause de non conformité des opérations
effectuées par l'application, il s'agissait d'un tableau
coupé par un saut de section, quelque chose de tellement
grave selon Microsoft que cela méritait un plantage radical.
Peut-être qu'une destruction totale de la machine aurait
été plus appropriée, je les trouve un peu laxistes ces temps ci.
Problème corrigé. Au suivant.


Mardi 15 heures.
De suivant il n'y en eu point ce jour là, je terminais
ma journée tranquillement entre deux reboot de serveur NT,
et mes travaux sur la reconversion d'un Vax en calculette.
j'en étais à la soustraction, je ne désespérais pas d'arriver
à la division à l'horizon 2005.
J'aurai certainement besoin de 512 mégas de mémoire
vive supplémentaire pour l'implémenter, c'est le directeur
financier qui va encore râler.

C'est une certitude demain amènera son nouveau lot de victimes.
Si tous ces gens savaient qu'au fond je ne maîtrise guère
plus qu'eux tout cela, que le métier est de bien peu de
secours quand Word ou Excel ou que sais-je se bauge
lamentablement, que le temps ou une entreprise vivait
sur des applications maisons est définitivement révolu.

Bah je fais comme si je dominais, c'est ce qu'ils attendent de moi,
c'est le côté charlatan du métier.
Et puis ils ont au moins quelqu'un d'identifié à engueuler.

Quant à moi je m'endors tous les soirs en rêvant aux
tortures que je ferai subir à Bill Gates s'il venait
à me tomber sous la main. C'est le côté psychopathe
du métier.

jdC

St Dikat

unread,
Jun 14, 1998, 3:00:00 AM6/14/98
to

Machin wrote:
>
> Quant à moi je m'endors tous les soirs en rêvant aux
> tortures que je ferai subir à Bill Gates s'il venait
> à me tomber sous la main. C'est le côté psychopathe
> du métier.
>
> jdC

:-)) Ca se gâte chez bill. Et zou, je te cole dans mes pages web.

Louis

Régis

unread,
Jun 14, 1998, 3:00:00 AM6/14/98
to

Machin <j...@aragorn.brgm.fr> wrote:

> Je suis ingénieur système [couic le reste]


Heu... pourquoi tu n'as pas posté dans fr.comp.sys.mac ? :-D

Amicalement et avec toute ma compassion,

Régis
--
<mailto:regis....@wanadoo.fr> ICQ : 8952507
Depuis que je la connais, je vole, je plane, bref, je l'aime

Jean-Luc Peuriere

unread,
Jun 14, 1998, 3:00:00 AM6/14/98
to

Machin <j...@aragorn.brgm.fr> wrote:

> Je suis ingénieur système, je sais je ne devrais pas m'en vanter.

MdR :-DDDDDDDDDD

Allez zou, en archive.

--
JL Peuriere
vu dans les news (fufe) :
CC:Par moment, je me demande si je ne vais pas l'inviter à diner votre
champion, Villeret battu :)

Clotilde Chaland

unread,
Jun 14, 1998, 3:00:00 AM6/14/98
to

Machin <j...@aragorn.brgm.fr> wrote (écrivait) :


> A ma connaissance conduire une voiture ne transforme personne
> en mécanicien, pas plus que raboter une porte ne fait de vous
> un ébéniste, mais taper sur un clavier fait de tout un chacun
> un informaticien. On n'arrête pas le progrès.

Si tu pouvais me confier la méthode ?
Ca fait ..z'ans que je travaille "dans" l'informatique et ben je ne
"sais" toujours rien de l'informatique !
Par contre, frappe clavier, je te prends quand tu veux !

Chez nous, les IS on les appelle les GIMI - on dirait un nom de
nains de jardin - C'est fou comme le nom modifie et valorise
la fonction ... ;)


--
Clõ
Soyez réalistes, demandez l'impossible.

Machin

unread,
Jun 15, 1998, 3:00:00 AM6/15/98
to

On Sun, 14 Jun 1998 22:19:32 +0200, Clotilde...@imag.fr (Clotilde
Chaland) wrote:

>Machin <j...@aragorn.brgm.fr> wrote (écrivait) :


>
>
>> A ma connaissance conduire une voiture ne transforme personne
>> en mécanicien, pas plus que raboter une porte ne fait de vous
>> un ébéniste, mais taper sur un clavier fait de tout un chacun
>> un informaticien. On n'arrête pas le progrès.
>

>Si tu pouvais me confier la méthode ?

Tu ne dois pas taper assez fort.

>Ca fait ..z'ans que je travaille "dans" l'informatique et ben je ne
>"sais" toujours rien de l'informatique !

On vit très bien sans. Peut être bien plus heureux
même. Qui sait.

>Par contre, frappe clavier, je te prends quand tu veux !
>
>Chez nous, les IS on les appelle les GIMI - on dirait un nom de
>nains de jardin - C'est fou comme le nom modifie et valorise
>la fonction ... ;)

GIMI ? Gentils Ingénieurs, mais après ?

>
>
>--
>Clõ
>Soyez réalistes, demandez l'impossible.


jdC

Raph

unread,
Jun 22, 1998, 3:00:00 AM6/22/98
to

Machin <j...@aragorn.brgm.fr> a écrit un texte de toute beauté : qu'il en
soit followupé.


--
Raph
rca...@imaginet.fr

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