Lionel Tacchini avait écrit le 18/03/2015 :
> Cette affaire souligne l’abîme entre les médiocrités officielles du
> temps présent et les trésors négligés, cachés et à venir d'une culture
> qui y survivra. Enfin peut-être.
Bien sûr qu'elle survivra. D'ailleurs, les artistes, j'entends : les
vrais, pas les cabots, n'ont rien a cirer des hommages officiels, des
plaques et des oraisons vibrantes, sauf s'ils ont la malchance de
mourir gâteux. Et s'ils attendent une éventuelle reconnaissance, c'est
du seul public. Quand on demandait à Mahler quelle inscription il
voulait sur sa tombe, il répondait : Mon nom, c'est tout. De toute
façon, ceux qui ne me connaissent pas n'en auront rien à fiche, et pour
ceux qui me connaissent, mon nom en dira plus que tous les blablas
creux et les formules pompeuses. Aux petits hommes les mausolées, aux
grands hommes une pierre, et un nom, écrivait Chateaubriand. Et
j'ajouterai : Aux très grands hommes (Mozart, P&MV), ni tombe, ni
pierre, ni nom. Seulement la terre d'où nous venons tous et où tous,
nous retournerons, dans la fosse commune du temps, comme disait tonton
Georges.
J'ai l'impression que l'indignation des frères Tak y Ni est bien moins
suscitée par l'injustice faite à un artiste que par une haine quasi
viscérale envers un parti politique qui s'élève, il est vrai, au
pinacle de la médiocrité. Mais ne vivons-nous pas à l'époque de la
médiocrité, de l'indigence intellectuelle, de l'inculture, et depuis
pas mal de temps déjà ? Les partis politiques ne sont que le miroirs de
la société, et aujourd'hui les reflets de sa servilité, de sa bêtise,
de son adhésion aveugle et quasi bestiale aux codes en vigueur. C'est
qu'il faut faire 'achement gaffe, de nos jours ! Le moindre mot suspect
prononcé en public, un micro fourbe qui traîne et récupère une phrase
ambiguë, ça t'entraîne séance tenante devant le tribunal de
l'Inquisition. Après tout, faut comprendre Christophe Girard : il vaut
largement mieux être traité d'inculte (de toute façon, c'est la norme)
que de risquer d'être suspecté de la moindre sympathie, de la moindre
connivence, de la moindre indulgence envers la collaboration. Refuser
de poser une plaque pour Dutilleux, tout le monde s'en fout, sauf
quelques mélomanes et musiciens qui ne représentent pas un potentiel
électoral significatif. Mais risquer de cautionner un artiste qui a
peut-être eu des tendances collaborationnistes, même secrétement, même
en pensée, oh là là ! T'imagines pas les levées de boucliers ! Les
hurlements de la foule en délire ! Les indignations vertueuses, les
ligues qui protestent, les cliques qui s'émeuvent, les lobbies qui
s'agitent, les associations de victimes de, les comités pour la mémoire
de, les cercles des anciens de, les journalistes qui en rajoutent une
couche, et, quel que soit leur canard, arrivent évidemment tous aux
mêmes condamnations, les concurrents politiques, outrés, scandalisés
jusqu'à la moelle, qui font monter la sauce, amplifient le blasphème,
interpellent à la Chambre, appellent à la démission, à
l'excommunication, à la torture, au bûcher. On est sur la voie de
l'Amérique bien puritaine et de son "vetting process". Si les valeurs
ne sont pas tout à fait les mêmes, le principe est identique. Là-bas,
t'as pas intérêt à avoir trompé ta femme un jour de vague à l'âme ou à
t'être fait tailler une pipe par ta secrétaire sous ton bureau. Ici,
tout le monde se fout de tes aventures extra-conjugales, on aime bien
les cocus, par chez nous, mais gare à toi si t'as traité un jour de
pédé un inverti, si on t'a entendu qualifier de nègre un homme de
couleur ou de cul-de-jatte une personne à mobilité réduite. Il faut se
faire une raison : si notre époque brille, c'est par son absence totale
de sens critique et de réflexion. C'est le temps du réflexe
conditionné, du slogan (facile à retenir, le plus court et le plus con
posible), du mot d'ordre, de "l'élément de langage", du symbole, de la
petite phrase, de la maxime creuse, de l'enthousiasme mécanique et de
l'indignation programmée. L'époque de la raison a fait place à celle
des dogmes et de la pensée unique, un cathéchisme républicain indigent
a supplanté la philosophie humaniste et le troupeau décérébré des
chiens de Pavlov foutballisés, téléréalitéïsés, smartphonisés et
rézosocioïsés bêle, remue la queue, aboie, mord et lève la patte de
concert sur les chemins de la bonne morale à trois balles et d'un
politiquement correct de pacotille.
Qu'on mette ou non une plaque à Dutilleux, ça changera quoi ? Le mal
est fait, et depuis longtemps. Il n'y a pas 0,2% de la population qui
peut dire que c'était un compositeur, et pas 0,02% seulement capable de
citer une oeuvre du bonhomme, une seule.
--
Paul & Mick Victor
Comment vous dites ? Du tilleul ?