Dans son message précédent, Jean Toulet, rouge d'indignation et animé
par une belle et noble colère, a écrit :
> Mais qu'on prenne ce guignol parisiano-snobinard pour un connaisseur en
> musique, ça non, jamais.
> Il suffit de rappeler ce jugement énoncé dans ce bouquin:
> "On ne peut pas se perdre dans le brouillard Debussy comme dans la brume
> Wagner, mais on y attrape du mal"
> Peut-être que pour un salonnard parisien ce genre de saillie peut séduire,
> mais pour le bouseux que je suis, ça me montre surtout que ce pauvre Cocteau
> était sourd.
Ce crime de lèse-Debussy aura au moins eu de le mérite de faire bondir
Toulet et de le ramener sur le forum, où il se fait trop rare...
Bien sûr, c'est du "bon mot", c'est "très parisien", à la Sacha Guitry,
mâtiné de Jacques Chazot (ou de Jack Lang, ou de Frédéric Mitterrand,
pour les plus jeunes). On imagine ces cercles de la Belle Époque, puis
des Années folles, un peu snobs, courus tant par les cocottes et les
demi-mondaines que par les authentiques marquises, où les artistes plus
ou moins ratés côtoyaient et tutoyaient les vrais célébrités, et où les
critiques boulevardiers auraient tué père et mère pour faire un mot
d'esprit. Certains, tout de même, ne manquaient pas de talent. Une
mention spéciale à Henry Gauthier-Villars, "Willy", et à son "Ouvreuse
du Cirque d'été", savoureuse et caustique ouvreuse mélomane des
Concerts Lamoureux, - grande concurrente, à l'époque, des Concerts
Colonne - qui regrettait tout de même que Charles Lamoureux, "le
Patron" appliquât parfois une politique "colonniale". Les propos de
l'Ouvreuse, ses comptes-rendus de concerts, se réfèrent bien sûr
souvent à des évènements et des personnages oubliés aujourd'hui, mais
ça pète, c'est féroce, et c'est drôle : "Pour finir, on a dépecé le
septuor de Beethoven avec tous les instruments réglementaires de
torture, cordes, bois de justice, sans préjudice du cor du délit. La
conception, digne des singes ou des Yankees, qui consiste à transporter
un pastel sur une toile de panorama, et à remplacer deux violons par
trente, a été naturellement acclamée par le public de mollusques,
vaguement anthropomorphes, qui s'étale sur les gradins du Châtelet."
(C'est au théâtre du Châtelet que jouait généralement Colonne, alors
que Lamoureux occupait le Cirque d'été). On pourra lire les propos de
l'Ouvreuse sur le site de Gallica.
Une formule à l'emporte-pièce est presque toujours injuste et souvent
cruelle. On se souvient du mot de Hugo à propos de la musique de
Mendelssohn, "ce brouillard couvrant le néant".
On pourra reprocher à Cocteau (avec l'oeuvre duquel je n'ai pas de
grandes affinités), comme à Hugo (qui culmine très haut dans mon Petit
Panthéon Personnel Portatif (PPPP) de n'être pas musiciens, de "n'y
rien connaître", et l'on rejettera des jugements de profanes parfois
dignes du Dictionnaire des idées reçues (Musicien : Le propre du
véritable musicien, c’est de ne composer aucune musique, de ne jouer
d’aucun instrument, et de mépriser les virtuoses.) Mais lorsqu'on lit
les innombrables inepties de musiciens patentés, authentifiés et
estampillés parlant de leurs confrères ou de leur art, on se dit qu'en
ce domaine, la bêtise est la chose du monde la mieux partagée.
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Paul & Mick Victor
salonnard