[ancmsp] Fwd: Journées d'étude internationales : Traduire en justice

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Lendaro Annalisa

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May 15, 2017, 8:56:30 AM5/15/17
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POUR INFO.
BIEN A VOUS,
ANNALISA
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Chères et chers collègues,
 
Vous trouverez ci-joint le programme de deux journées d'étude internationales qui se tiendront en Sorbonne et à la Maison de la Recherche de Paris 3, les 1 et 2 juin prochains : Traduire en justice. Traduction, éthique et figures de la justice. L'argumentaire se trouve ci-dessous.
N'hésitez pas à diffuser l'information auprès de celles et ceux que cela pourrait intéresser.


Bien cordialement,

Naomi Nicolas Kaufman



Traduire en justice. Traduction, éthique et figures de la justice

Depuis une trentaine d’années, les recherches et réflexions sur la traduction ont connu une singulière prolifération, à partir de différents champs de savoir et points de vue épistémologiques. En France, les travaux d’Antoine Berman constituent un jalon important de cette histoire. Le « virage éthique » de la traduction (Berman 1985, 88), dont il fut l’une des principales figures, repose sur un paradigme articulant altérité et rapport à l’autre : « l’essence de la traduction est d’être ouverture, dialogue, métissage, décentrement. Elle est mise en rapport, ou elle n’est rien » (Berman 1984, 16). Dans le sillage de Berman, les discours d’Anthony Pym et de Lawrence Venuti situent la traduction dans une perspective sociologique et juridique, en réaffirmant la prééminence d’une éthique interculturelle.

Au même moment, le développement des études postcoloniales dans le champ anglo-saxon donne lieu à un nombre considérable de contributions à la pensée de la traduction de la part de théoriciens postcoloniaux issus de la Comparative Literature et des Cultural Studies, tels que Tejaswini Niranjana, Homi Bhabha et Gayatri Chakravorty Spivak. Si les travaux de celle-ci, jusqu’aux plus récents, posent la question du rôle de la traduction dans le processus colonial, processus de production de savoir et de constitution de sujets, la traduction est également représentée comme rencontre des langues et outil de résistance à l’impérialisme politique, culturel et linguistique, agent de la différence culturelle (Spivak 1993, 1999, 2012). La « non-traduction » apparaît notamment chez Spivak, elle-même traductrice du Bengali, comme résistance à la tentation de l’équivalence, et aux inégalités manifestes produites par la mondialisation et le développement d’un globish anglais planétarisé (Cassin 2007).

L’équivalence, notion centrale en traductologie, se voit aujourd’hui resaisie par Emily Apter, dont les recherches actuelles proposent de la substituer par celles d’(in)justice et d’(in)égalité. C’est également par souci de « réinscrire du négatif dans la pensée de la traduction » que Tiphaine Samoyault a pu parler de « traduction agonique » lors de l’ouverture du Printemps de la traduction (mai 2016).

Enfin, les nombreuses réflexions de Jacques Derrida sur la traduction, au fil de textes de nature variée, font émerger une constellation qui place la traduction au sein d’une réflexion sur la violence, le pardon, le droit et la justice, l’hospitalité et l’accueil, le don et l’échange. Le lexique et les thématiques mobilisées par Derrida sont l’une des sources alimentant la recherche contemporaine sur la traduction, telle qu’on la trouve notamment dans l’entreprise du Vocabulaire européen des philosophies, Dictionnaire des intraduisibles, dirigé par Barbara Cassin, et sa reprise en anglais par Emily Apter, Jacques Lezra et Michael Wood.

En français, le syntagme traduire en justice signifie appeler à comparaître devant une institution judiciaire. Pour ces journées d’étude, cette signification s’intensifie dès lors qu’elle s’accompagne d’une lecture prenant en contre-pied la lexicalisation de l’expression, « traduire en justice » pouvant indiquer la traduction linguistique en contexte judiciaire. L’articulation de ces deux lectures peut permettre déjà, dans un premier temps, de questionner le caractère unique de la loi, l’applicabilité d’un droit, les conditions même permettant de parler de justice lorsque au moins deux langues parlent en contexte judiciaire - la première étant celle dans laquelle existe et s’exprime l’institution, les autres étant traduites vers elle. Les enjeux de cette articulation nous amèneront à réfléchir aux cas où la traduction ou les traducteurs se trouvent face à la justice.

Dans une dimension sans doute plus théorique, mais non moins problématique ou essentielle, l’expression traduire en justice interroge les conditions de toute traduction, celle-ci étant considérée comme appel fait à l’oeuvre littéraire à comparaître devant une autre justice, un autre droit, ou encore d’autres lois : celles de la culture et de la langue vers lesquelles la traduction est effectuée.

En outre, questionner le paradigme éthique de la traduction qui domine la pédagogie traductive et les discours institutionnels, du moins en France, nous permettra d’analyser la façon dont éthique, traduction et justice se présentent comme différents noms désignant la relation à autrui. En acceptant cette hypothèse, toute traduction demanderait une prise de responsabilité de la part du traducteur qui serait dès lors le garant du caractère juste - adroit et dans le droit - de ses choix. Derrida a toutefois démontré que la justice ne se réduit pas à l’application du droit, et qu’elle se situe là où « la décision entre le juste et l’injuste n’est jamais assurée par une règle » (Derrida 1994, 38). Si la règle pratique et pragmatique de la traduction contemporaine s’en tient à l’éthique, traduire en justice dans nos journées d’étude se propose de rendre visible les pratiques et les pensées qui mettent en crise cette éthique, la dérangent et la modifient.

Pendant la journée d’étude, en réponse ou en réaction au mouvement unifiant du mondial et plus récemment du global, nous invitons à penser les justices, les droits et les paradigmes nationaux ou internationaux dans leurs autonomies paradoxales, ainsi que dans leurs historicités.

On pourra se demander en quoi, par exemple, la question de l’éthique en traduction est toujours déjà éthique, dans la mesure où elle témoigne d’une position culturelle privilégiée ou d’une position linguistique dominante (Casanova 2015) et en souligner les implications lorsqu’il s’agit de penser l’injustice à réparer - le mé-traduit, l’intraduit etc. -, revers plus ou moins implicite de tous ces discours. On pourra encore se demander en quoi sortir d’une pensée (inter)nationale de la traduction pour se situer à l’échelle de communautés plus petites (tribus, familles, clans etc.) ou moins stables (zones, aires, événements) peut complexifier la justice de notre syntagme.

Le but de ces journées d’étude sera de réunir des chercheurs travaillant dans différentes disciplines et de faire apparaître les noeuds communs et problématiques s’articulant autour et à partir de l’expression traduire en justice, proposée ici comme point de départ à la réflexion.



Programme Traduire en justice.pdf
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