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TEXTE: Raymond Queneau, Exercices de Style 2/2

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Henry Churchyard

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Jun 10, 1992, 7:18:29 PM6/10/92
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Queneau, Raymond (1903-1976)

Exercices de Style

(Paris, Gallimard, 1947, revised 1968)

Part 2/2

40. Aparte's.

L'autobus arriva tout gonfle' de voyageurs. Pourvu que je ne
le rate pas, veine il y a encore une place pour moi. L'un d'eux
-- il en a une dro^le de tirelire avec son cou de'mesure' -- portait
un chapeau de feutre mou entoure' d'une sorte de cordelette a` la
place de ruban -- ce que c,a a l'air pre'tentieux -- et soudain se
mit -- tiens qu'est-ce qui lui prend -- a` vitupe'rer un voisin --
l'autre fait pas attention a` ce qu'il lui raconte -- auquel il
reprochait de lui marcher expre`s -- a l'air de chercher la
bagarre, mais il se de'gonflera -- sur les pieds. Mais comme une
place e'tait libre a` l'inte'rieur -- qu'est-ce que je disais -- il
tourna le dos et courut l'occuper.

Deux heures plus tard environ, -- c'est curieux les
coi"ncidences -- il se trouvait cour de Rome en compagnie d'un ami
-- un michet de son espe`ce -- qui lui de'signait de l'index un
bouton de son pardessus -- qu'est-ce qu'il peut bien lui raconter?


Pare'chee`ses

Sur la tribune buste'rieure d'un bus qui transhabutait vers un
but peu bucolique des bureaucrates abutis, un burlesque funambule
a` la buccule loin de buste et au gibus sans buran, fit
brusquement du grabuge contre un burgrave qui le bousculait:
``Butor! y a de l'abus!'' S'attribuant un tabouret, il s'y
culbuta tel un obus dans une cambuse.

Bulte'rieurement, en un conciliabule, il butinait cette
stibulation: ``Buse! ce globuleux buton buche mal ton burnous!''


41. Fantomatique.

Nous, garde-chasse de la Plaine-Monceau, avons l'honneur de
rendre compte de l'inexplicable et maligne pre'sence dans le
voisinage de la porte orientale du parc de S. A. R. Monseigneur
Philippe le sacre' duc d'Orle'ans, ce jour d'huy seize de mai mille
sept cent quatre-vingt-trois, d'un chapeau mou de forme
inhabituelle et entoure' d'une sorte de galon tresse'.
Conse'quemment nous constata^mes l'apparition soudaine sous le dit
chapeau d'un homme jeune, pourvu d'un cou d'une longueur
extraordinaire et ve^tu comme on se ve^t sans doute a` la Chine.
L'effroyable aspect de ce quidam nous glac,a les sangs et pre'vint
notre fuite. Ce quidam demeura quelques instants immobile, puis
s'agita en grommelant comme s'il repoussait le voisinage d'autres
quidams invisibles mais a` lui sensibles. Soudain son attention se
porta vers son manteau et nous l'entendi^mes qui murmurait comme
suit: ``il manque un bouton, il manque un bouton''. Il se mit
alors en route et prit la direction de la Pe'pinie`re. Attire'
malgre' nous par l'e'trangete' de ce phe'nome`ne, nous le suivi^mes
hors des limites attribue'es a` notre juridiction et nous
atteigni^mes nous trois le quidam et le chapeau un jardinet de'sert
mais plante' de salades. Une plaque bleue d'origine inconnue mais
certainement diabolique portait l'inscription ``Cour de Rome''.
Le quidam s'agita quelques moments encore en murmurant: ``Il a
voulu me marcher sur les pieds.'' il disparut alors, lui d'abord
et quelque temps apre`s son chapeau. Apre`s avoir dresse' proce`s-
verbal de cette liquidation, j'allai boire chopine a` la Petite-
Pologne.


42. Philosophique.

Les grandes villes seules peuvent pre'senter a` la spiritualite'
phe'nome'nologique les essentialite's des coi"ncidences temporelles
et improbabilistes. Le philosophe qui monte parfois dans
l'inexistentialite' futile et outilitaire d'un autobus S y peut
apercevoir avec la lucidite' de son oeil pine'al les apparences
fugitives et de'colore'es d'une conscience profane afflige'e du long
cou de la vanite' et de la tresse chapeautie`re de l'ignorance.
Cette matie`re sans ente'le'chie ve'ritable se lance parfois dans
l'impe'ratif cate'gorique de son e'lan vital et re'criminatoire
contre l'irre'alite' ne'oberkeleyienne d'un me'canisme corporel
inalourdi de conscience. Cette attitude morale entrai^ne alors le
plus inconscient des deux vers une spatialite' vide ou` il se
de'compose en ses e'le'ments premiers et crochus.

La recherche philosophique se poursuit normalement par la
rencontre fortuite mais anagogique du me^me e^tre accompagne' de sa
re'plique inessentielle et couturie`re, laquelle lui conseille
noume'nalement de transposer sur le plan de l'entendement le
concept de bouton de pardessus situe' sociologiquement trop bas.


43. Apostrophe.

O stylographe a` la plume de platine, que ta course rapide et
sans heurt trace sur le papier au dos satine' les glyphes
alphabe'tiques qui transmettront aux hommes aux lunettes
e'tincelantes le re'cit narcissique d'une double rencontre a` la
cause autobusilistique. Fier coursier de mes re^ves, fide`le
chameau de mes exploits litte'raires, svelte fontaine de mots
compte's, pese's et choisis, de'cris les courbes lexicographiques et
syntactiques qui formeront graphiquement la narration futile et
de'risoire des faits et gestes de ce jeune homme qui prit un jour
l'autobus S sans se douter qu'il deviendrait le he'ros immortel de
mes laborieux travaux d'e'crivain. Freluquet au long cou surplombe'
d'un chapeau cerne' d'un galon tresse', roquet rageur, rouspe'teur
et sans courage qui fuyant la bagarre allas poser ton derrie`re
moissonneur de coups de pieds au cul sur une banquette en bois
durci, soupc,onnais-tu cette destine'e rhe'torique lorsque devant la
gare Saint-Lazare tu e'coutais d'une oreille exalte'e les conseils
de tailleur d'un personnage qu'inspirait le bouton supe'rieur de
ton pardessus?


44. Maladroit.

Je n'ai pas l'habitude d'e'crire. Je ne sais pas. J'aimerais
bien e'crire une trage'die ou un sonnet ou une ode, mais il y a les
re`gles. C,a me ge^ne. C'est pas fait pour les amateurs. Tout c,a
c'est de'ja` bien mal e'crit. Enfin. En tout cas, j'ai vu
aujourd'hui quelque chose que je voudrais bien coucher par e'crit.
Coucher par e'crit ne me parai^t pas bien fameux. C,a doit e^tre une
de ces expressions toutes faites qui rebutent les lecteurs qui
lisent pour les e'diteurs qui recherchent l'originalite' qui leur
parai^t ne'cessaire dans les manuscrits que les e'diteurs publient
lorsqu'ils ont e'te' lus par les lecteurs que rebutent les
expressions toutes faites dans le genre de <<coucher par e'crit>>
qui est pourtant ce que je voudrais faire de quelque chose que
j'ai vu aujourd'hui bien que je ne sois qu'un amateur que ge^nent
les re`gles de la trage'die du sonnet ou de l'ode car je n'ai pas
l'habitude d'e'crire. Merde, je ne sais pas comment j'ai fait mais
me voila` revenu tout au de'but. Je ne vais jamais en sortir. Tant
pis. Prenons le taureau par les cornes. Encore une platitude. Et
puis ce gars-la` n'avait rien d'un taureau. Tiens, elle n'est pas
mauvaise celle-la`. Si j'e'crivais: prenons le godelureau par la
tresse de son chapeau de feutre mou emmanche' d'un long cou, peut-
e^tre bien que ce serait original. Peut-e^tre bien que c,a me ferait
connai^tre des messieurs de l'Acade'mie franc,aise, du Flore et de
la rue Se'bastien-Bottin. Pourquoi ne ferais-je pas de progre`s
apre`s tout. C'est en e'crivant qu'on devient e'criveron. Elle est
forte celle-la`. Tout de me^me faut de la mesure. Le type sur la
plate-forme de l'autobus, il en manquait quand il s'est mis a`
engueuler son voisin sous pre'texte que ce dernier lui marchait
sur les pieds chaque fois qu'il se tassait pour laisser monter ou
descendre des voyageurs. D'autant plus qu'apre`s avoir proteste'
comme cela, il est alle' vite s'asseoir de`s qu'il a vu une place
libre a` l'inte'rieur comme s'il craignait les coups. Tiens j'ai
de'ja` raconte' la moitie' de mon histoire. Je me demande comment
j'ai fait. C'est tout de me^me agre'able d'e'crire. Mais il reste le
plus difficile. Le plus cale'. La transition. D'autant plus qu'il
n'y a pas de transition. Je pre'fe`re m'arre^ter.


45. De'sinvolte.

I.

Je monte dans le bus.
-- C'est bien pour la porte Champerret?
-- Vous savez donc pas lire?
-- Excuses.
Il moud mes tickets sur son ventre.
-- Voila`.
-- Merci.
Je regarde autour de moi.
-- Dites donc, vous.
Il a une sorte de galon autour de son chapeau.
-- Vous pourriez pas faire attention?
Il a un tre`s long cou.
-- Non mais dites donc.
Le voila` qui se pre'cipite sur une place libre.
-- Eh bien.
Je me dis c,a.

II.

Je monte dans le bus.
-- C'est bien pour la place de la Contrescarpe?
-- Vous savez donc pas lire?
-- Excuses.
Son orgue de Barbarie fonctionne et il me rend mes tickets avec
un petit air dessus.
-- Voila`.
-- Merci.
On passe devant la gare Saint-Lazare.
-- Tiens le type de tout a` l'heure.
Je penche mon oreille.
-- Tu devrais faire mettre un autre bouton a` ton pardessus.
Il lui montre ou`.
-- Il est trop e'chancre' ton pardessus.
C,a c'est vrai.
-- Eh bien.
Je me dis c,a.


46. Partial.

Apre`s une attente de'mesure'e l'autobus enfin tourna le coin de
la rue et vint freiner le long du trottoir. Quelques personnes
descendirent, quelques autres monte`rent: j'e'tais de celles-ci. On
me asse sur la plate-forme, le receveur tira ve'he'mentement sur
une chasse de bruit et le ve'hicule repartit. Tout en de'coupant
dans un carnet le nombre de tickets que l'homme a` la petite boi^te
allait oblite'rer sur son ventre, je me mis a` inspecter mes
voisins. Rien que des voisins. Pas de femmes. Un regard
de'sinte'resse' alors. Je de'couvris biento^t la cre`me de cette boue
circonscrivante: un garc,on d'une vingtaine d'anne'es qui portait
une petite te^te sur un long cou et un grand chapeau sur sa petite
te^te et une petite tresse coquine autour de son grand chapeau.

Quel pauvre type, me dis-je.

Ce n'e'tait pas seulement un pauvre type, c'e'tait un me'chant.
Il se poussa du co^te' de l'indignation en accusant un bourgeois
quelconque de lui laminer les pieds a` chaque passage de
voyageurs, montants ou descendants. L'autre le regarda d'un oeil
se've`re, cherchant une re'plique farouche dans le re'pertoire tout
pre'pare' qu'il devait trimbaler a` travers les diverses
circonstances de la vie, mais ce jour-la` il ne se retrouvait pas
dans son classement. Quant au jeune homme, craignant une paire de
gifles, il profita de la soudaine liberte' d'une place assise pour
se pre'cipiter sur celle-ci et s'y asseoir.

Je descendis avant lui et ne pus continuer a` observer son
comportement. Je le destinais a` l'oubli lorsque, deux heures plus
tard, moi dans l'autobus, lui sur le trottoir, je le revis cour
de Rome, toujours aussi lamentable.

Il marchait de long en large en compagnie d'un camarade qui
devait e^tre son mai^tre d'e'le'gance et qui lui conseillait, avec
une pe'danterie dandyesque, de faire diminuer l'e'chancrure de son
pardessus en y faisant adjoindre un bouton supple'mentaire.

Quel pauvre type, me dis-je.

Puis nous deux mon autobus, nous continua^mes notre chemin.


47. Sonnet.

Glabre de la vaisselle et tresse' du bonnet,
Un paltoquet che'tif au cou me'lancolique
Et long se pre'parait, quotidienne colique.
A prendre un autobus le plus souvent complet.
L'un vint, c'e'tait un dix ou bien peut-e^tre un S.
La plate-forme, hochet adjoint au ve'hicule,
Trimbalait une foule en son sein minuscule
Ou` des richards pervers allumaient des londre`s
Le jeune girafeau, cite' premie`re strophe,
Grimpe' sur cette planche entreprend un pe'quin
Lequel, proclame-t-il, voulait sa catastrophe,
Pour sortir du pe'trin bigle une place assise
Et s'y met. Le temps passe. Au retour un faquin
A propos d'un bouton examinait sa mise.


48. Olfactif.

Dans cet S me'ridien il y avait en dehors de l'odeur
habituelle, odeur d'abbe's, de de'ce'de's, d'oeufs, de geais, de
haches, de ci-gi^ts, de cas, d'ailes, d'aime haine au pet de culs,
d'airs de'teste's, de nus vers, de doubles ve's ce's, de hies que
scient aides grecs, il y avait une certaine senteur de long cou
juve'nile, une certaine perspiration de galon tresse', une certaine
a^crete' de rogne, une certaine puanteur la^che et constipe'e
tellement marque'es que lorsque deux heures plus tard je passai
devant la gare Saint-Lazare je les reconnus et les identifiai
dans le parfum cosme'tique, fashionable et tailoresque qui e'manait
d'un bouton mal place'.


49. Gustatif.

Cet autobus avait un certain gou^t. Curieux mais
incontestable. Tous les autobus n'ont pas le me^me gou^t. C,a se
dit, mais c'est vrai. Suffit d'en faire l'expe'rience. Celui-la` --
un S -- pour ne rien cacher -- avait une petite saveur de
cacahoue`te grille'e je ne vous dis que c,a. La plate-forme avait
son fumet spe'cial, de la cacahoue`te non seulement grille'e mais
encore pie'tine'e. A un me`tre soixante au-dessus du tremplin, une
gourmande, mais il ne s'en trouvait pas, aurait pu le'cher quelque
chose d'un peu suret qui e'tait un cou d'homme dans sa trentaine.
Et a` vingt centime`tres encore au-dessus, il se pre'sentait au
palais exerce' la rare de'gustation d'un galon tresse' un peu
cacaote'. Nous de'gusta^mes ensuite le chouigne-gueume de la
dispute, les cha^taignes de l'irritation, les raisins de la cole`re
et les grappes d'amertume.

Deux heures plus tard nous eu^mes droit au dessert: un bouton
de pardessus... une vraie noisette...


50. Tactile.

Les autobus sont doux au toucher surtout si on les prend
entre les cuisses et qu'on les caresse avec les deux mains, de la
te^te vers la queue, du moteur vers la plate-forme. Mais quand on
se trouve sur cette plate-forme alors on perc,oit quelque chose de
plus a^pre et de plus re^che qui est la to^le ou la barre d'appui,
tanto^t quelque chose de plus rebondi et de plus e'lastique qui est
une fesse. Quelquefois il y en a deux, alors on met la phrase au
pluriel. On peut aussi saisir un objet tubulaire et palpitant qui
de'gurgite des sons idiots, ou bien un ustensile aux spirales
tresse'es plus douces qu'un chapelet, plus soyeuses qu'un fil de
fer barbele', plus veloute'es qu'une corde et plus menues qu'un
ca^ble. Ou bien encore on peut toucher du doigt la connerie
humaine, le'ge`rement visqueuse et gluante, a` cause de la chaleur.

Puis si l'on patiente une heure ou deux, alors devant une
gare raboteuse, on peut tremper sa main tie`de dans l'exquise
frai^cheur d'un bouton de corozo qui n'est pas a` sa place.


51. Visuel.

Dans l'ensemble c'est vert avec un toit blanc, allonge', avec
des vitres. C'est pas le premier venu qui pourrait faire c,a, des
vitres. La plate-forme c'est sans couleur, c'est moitie' gris
moitie' marron si l'on veut. C'est surtout plein de courbes, des
tas d'S pour ainsi dire. Mais a` midi comme c,a, heure d'affluence,
c'est un dro^le d'encheve^trement. Pour bien faire faudrait e'tirer
hors du magma un rectangle d'ocre pa^le, y planter au bout un
ovale pa^le ocre et la`-dessus coller dans les ocres fonce's un
galurin que cernerait une tresse de terre de Sienne bru^le'e et
entreme^le'e par-dessus le marche'. Puis on t'y foutrait une tache
caca d'oie pour repre'senter la rage, un triangle rouge pour
exprimer la cole`re et une pisse'e de vert pour rendre la bile
rentre'e et la trouille foireuse.

Apre`s c,a on te dessinerait un de ces jolis petits mignons de
pardingues bleu marine avec, en haut, juste en dessous de
l'e'chancrure, un joli mignon bouton dessine' au petit quart de
poil.


52. Auditif.

Coinquant et pe'taradant, l'S vint crisser le long du trottoir
silencieux. Le trombone du soleil be'molisait midi. Les pie'tons,
braillantes cornemuses, clamaient leurs nume'ros. Quelques-uns
monte`rent d'un demi-ton, ce qui suffit pour les emporter vers la
porte Champerret aux chantantes arcades. Parmi les e'lus
haletants, figurait un tuyau de clarinette a` qui les malheurs des
temps avaient donne' forme humaine et la perversite' d'un chapelier
pour porter sur la timbale un instrument qui ressemblait a` une
guitare qui aurait tresse' ses cordes pour s'en faire une
ceinture. Soudain au milieu d'accords en mineur de voyageurs
entreprenants et de voyajrices consentantes et des tre'molos
be^lants du receveur rapace e'clate une cacophonie burlesque ou` la
rage de la contrebasse se me^le a` l'irritation de la trompette et
a` la frousse du basson.

Puis, apre`s soupir, silence, pause et double-pause, e'clate la
me'lodie triomphante d'un bouton en train de passer a` l'octave
supe'rieure.

<!-- Following two are not in Folio edition: they are replaced by
Telegraphique, Ode, Perumtations (2), Hellenismes, Ensembliste,
Definitionel,Tanka -->


53. Re'actionnaire.

Naturellement l'autobus e'tait a` peu pre`s complet, et le
receveur de'sagre'able. L'origine de tout cela, il faut la
rechercher dans la journe'e de huit heures et les projets de
nationalisation. Et puis les franc,ais manquent d'organisation et
de sens civique; sinon, il ne serait pas ne'cessaire de leur
distribuer des nume'ros d'ordre pour prendre l'autobus -- ordre est
bien le mot. Ce jour-la`, nous e'tions bien dix a` attendre sous un
soleil e'crasant et lorsque l'autobus arriva, il y avait seulement
deux places, et j'e'tais le sixie`me. Heureusement que j'ai dit
<<justice>>, en montrant une vague carte avec ma photo et une bande
tricolore en travers -- cela impressionne toujours les receveurs --
et je suis monte'. Naturellement je n'ai rien a` voir avec
l'ignoble justice re'publicaine et je n'allais tout de me^me pas
rater un de'jeuner d'affaires tre`s important pour une vulgaire
histoire de nume'ros. Sur la plate-forme nous e'tions serre's comme
harengs en caque. Je souffre toujours de cette promiscuite'
de'gou^tante. La seule chose qui puisse compenser ce de'sagre'ment,
c'est quelquefois le charmant contact du tre'moussant arrie`re-
train d'une mignonne midinette. Ah jeunesse, jeunesse! mais ne
nous excitons pas. Cette fois-la` je n'avais dans mon voisinage
que des hommes, dont une sorte de zazou au cou de'mesure' et qui
portait autour de son feutre mou une espe`ce de tresse au lieu de
ruban. Comme si on ne devrait pas envoyer tous ces gars-la` dans
des camps de travail. Pour relever les ruines par exemple. Celles
des anglo-saxons surtout. De mon temps on e'tait camelot du roy,
et pas swing. Toujours est-il que ce garnement se permet tout a`
coup d'engueuler un ancien combattant, un vrai, de la guerre de
14-18. Et ce dernier qui ne riposte pas! on comprend quand on
voit cela que le traite' de Versailles ait e'te' une loufoquerie.
Quant au galopin, il se pre'cipita sur une place libre au lieu de
la laisser a` une me`re de famille. Quelle e'poque! eh bien, ce
morveux pre'tentieux, je l'ai revu, deux heures plus tard, devant
la cour de Rome. Il e'tait en compagnie d'un autre zazou du me^me
acabit, lequel lui donnait des conseils sur sa mise. Ils se
baladaient de long en large, tous les deux, -- au lieu d'aller
casser les vitrines d'une permanence communiste et de bru^ler
quelques bouquins. Pauvre France!


54. Hai kai.

l'S est-ce
long cou marche pieds
cris et retraite
gare et bouton
rencontre

<!-- end of passage omitted from Folio ed -->


55. Vers libres.

L'autobus
plein
le coeur
vide
le cou
long
le ruban
tresse'
les pieds
plats
plats et aplatis
la place
vide
et l'inattendue rencontre pre`s de la gare aux mille feux
e'teints
de ce coeur, de ce cou, de ce ruban, de ces pieds,
de cette place vide,
et de ce bouton.

<!-- following not in Folio edition, which does have Translation,
Lipogramme,Anglicismes, Prosthese, Epenthese, Paragoges, at this
point -->


56. Fe'minin.

Quelle bande d'empote's! aujourd'hui vers midi (ce qu'il
faisait chaud, heureusement que je m'e'tais mis de l'odorono sous
les bras, sans c,a ma petite robe d'e'te' en cretonne de ma petite
couturie`re qui me fait des prix, elle e'tait fichue) du co^te' du
parc Monceau (c'est mieux que le Luxembourg ou` j'envoie mon fils,
quelle ide'e d'avoir la pelade a` son a^ge), l'autobus passe, il
e'tait plein, mais j'ai vampe' le receveur et je suis monte'e.
Naturellement le tas d'abrutis qui avait des nume'ros a proteste',
mais pfuitt! l'autobus e'tait loin. Et moi dedans. C'e'tait
surcomplet. Ce que j'e'tais serre'e, et pas un homme assis a`
l'inte'rieur qui m'aurait ce'de' sa place. Quels goujats! A co^te' de
moi, il y avait un homme assez e'le'gant (c'est tre`s chic une
tresse autour d'un feutre mou au lieu de ruban, / Adam / a du^
parler de cette nouvelle mode), malheureusement il avait le cou
trop long pour mon gou^t. J'ai des amies qui pre'tendent que
lorsqu'un homme a une partie du corps plus grande que la normale
(par exemple un nez trop grand) c,a indique aussi des capacite's
marque'es dans un autre domaine. Mais je n'en crois rien. En tout
cas, ce monsieur tre`s bien se tre'moussait tout le temps et je me
demandais ce qu'il attendait pour m'adresser la parole ou me
mettre la main quelque part. C'est un timide, me disais-je. Je
n'avais pas tout a` fait tort. Car le voila` qui se met a`
interpeller un autre bonhomme qui avait une sale te^te d'ailleurs
et qui faisait expre`s de lui marcher sur les pieds. Si j'avais
e'te' ce jeune homme, je lui aurais casse' la figure, mais au lieu
de cela il est alle' vite s'asseoir de`s qu'il a vu une place libre
et il n'a d'ailleurs pas songe' un seul instant a` me l'offrir. Ce
qu'il ne faut pas voir, tout de me^me, au pays de la galanterie.
Un peu plus tard, comme je passais devant la gare Saint-Lazare
(cette fois j'e'tais assise), je l'ai aperc,u qui discutait avec un
ami (un assez joli garc,on, ma foi) a` propos de l'e'chancrure de
son pardessus (une dro^le d'ide'e de mettre un manteau par une
chaleur pareille, mais c,a fait toujours habille'). Je l'ai
regarde', mais l'imbe'cile il ne m'a me^me pas reconnue.

<-- end of omission -->


57. Parties du discours.

Articles: le, la, les, un, une, des, du, au.

Substantifs: jour, midi, plate-forme, autobus, ligne S,
co^te', parc, Monceau, homme, cou, chapeau, galon, lieu, coup,
ruban, voisin, pieds, fois, voyageur, discussion, place, heures,
gare, saint, Lazare, conversation, camarade, e'chancrure,
pardessus, tailleur, bouton.

Adjectifs: arrie`re, compe'tent, complet, entoure', grand,
libre, long, tresse'.

Verbes: apercevoir, porter, interpeller, pre'tendre, faire,
marcher, monter, descendre, abandonner, jeter, revoir, dire,
diminuer, faire, remonter.

Pronoms: je, il, se, le, lui, son, qui, celui-ci, que,
chaque, tout, quelque.

Adverbes: peu, pre`s, fort, expre`s, ailleurs, rapidement,
plus, tard.

Pre'positions: vers, sur, de, en, sur, devant, en, avec, par,
a`.

Conjonctions: que, ou.

<'Metatheses omitted'>


58. Par devant par derrie`re.

Un jour par devant vers midi par derrie`re sur la plate-forme
par devant arrie`re par derrie`re d'un autobus par devant a` peu
pre`s complet par derrie`re, j'aperc,us par devant un homme par
derrie`re qui avait par devant un long cou par derrie`re et un
chapeau par devant entoure' d'un galon tresse' par derrie`re au lieu
de ruban par devant. Tout a` coup il se mit par derrie`re a`
engueuler par devant un voisin par derrie`re qui, disait-il par
devant, lui marchait par derrie`re sur les pieds par devant,
chaque fois qu'il montait par derrie`re des voyageurs par devant.
Puis il alla par derrie`re s'asseoir par devant, car une place par
derrie`re e'tait devenue libre par devant.

Un peu plus tard par derrie`re je le revis par devant devant
la gare Saint-Lazare par derrie`re avec un ami par devant qui lui
donnait par derrie`re des conseils d'e'le'gance.


59. Noms propres.

Sur la Jose'phine arrie`re d'un Le'on complet, j'aperc,us un jour
The'odule avec Charles le trop long et Gibus entoure' par Trissotin
et pas par Rubens. Tout a` coup The'odule interpella The'odose qui
pie'tinait Laurel et Hardy chaque fois que montaient ou
descendaient des polde`ves. The'odule abandonna d'ailleurs
rapidement Eris pour Laplace.

Deux Huyghens plus tard, je revis The'odule devant Saint-
Lazare en grand Cice'ron avec Brummel qui lui disait de retourner
chez O'Rossen pour faire remonter Jules de trois centime`tres.

<'Loucherbem and Javanais omitted'>


60. <'Contre-ve'rite's.'> Antonymique

Minuit. Il pleut. Les autobus passent presque vides. Sur le
capot d'un ai du co^te' de la bastille, un vieillard qui a la te^te
rentre'e dans les e'paules et ne porte pas de chapeau remercie une
dame place'e tre`s loin de lui parce qu'elle lui caresse les mains.
Puis il va se mettre debout sur les genoux d'un monsieur qui
occupe toujours sa place.

Deux heures plus to^t, derrie`re la gare de Lyon, ce vieillard
se bouchait les oreilles pour ne pas entendre un clochard qui se
refusait a` dire qu'il lui fallait descendre d'un cran le bouton
infe'rieur de son calec,on.

<'Macaronique, Homophonique, Italianismes, Poor lay Zanglay,
Contre-Petteries omitted'>


61. Botanique.

Apre`s avoir fait le poireau sous un tournesol
merveilleusement e'panoui je me greffai sur une citrouille en
route vers le champ Perret. La` je de'terre une courge dont la tige
e'tait monte'e en graine et le citron surmonte' d'une capsule
entoure'e d'une liane. Ce cornichon se met a` enguirlander un navet
qui pie'tinait ses plates-bandes et lui e'crasait ses oignons.
Mais, des dattes! fuyant une re'colte de cha^taignes et de marrons,
il alla se planter en un terrain vierge.

Plus tard je le revis devant la serre des banlieusards. Il
envisageait une bouture de pois chiche en haut de sa corolle.


62. Me'dical.

Apre`s une petite se'ance d'he'liothe'rapie, je craignis d'e^tre
mis en quarantaine, mais montai finalement dans une ambulance
pleine de grabataires. La`, je diagnostique un gastralgique
atteint de gigantisme opinia^tre avec e'longation trache'ale et
rhumatisme de'formant du ruban de son chapeau. Ce cre'tin pique
soudain une crise hyste'rique parce qu'un cacochyme lui pilonne
son tylosis gompheux, puis ayant de'charge' sa bile il s'isole pour
soigner ses convulsions.

Plus tard je le revois, hagard devant un lazaret, en train de
consulter un charlatan au sujet d'un furoncle qui de'parait ses
pectoraux.


63. Injurieux.

Apre`s une attente infecte sous un soleil ignoble, je finis
par monter dans un autobus immonde ou` se serrait une bande de
cons. Le plus con d'entre ces cons e'tait un boutonneux au sifflet
de'mesure' qui exhibait un galurin grotesque avec un cordonnet au
lieu de ruban. Ce pre'tentiard se mit a` ra^ler parce qu'un vieux
con lui pie'tinait les panards avec une fureur se'nile; mais il ne
tarda pas a` se de'gonfler et se de'bina dans la direction d'une
place vide encore humide de la sueur des fesses du pre'ce'dent
occupant.

Deux heures plus tard, pas de chance, je retombe sur le me^me
con en train de pe'rorer avec un autre con devant ce monument
de'gueulasse qu'on appelle la gare Saint-Lazare. Ils
bavardochaient a` propos d'un bouton. Je me dis: qu'il le fasse
monter ou descendre son furoncle, il sera toujours aussi moche,
ce sale con.


64. Gastronomique.

Apre`s une attente gratine'e sous un soleil au beurre noir, je
finis par monter dans un autobus pistache ou` grouillaient les
clients comme asticots dans un fromage trop fait. Parmi ce tas de
nouilles, je remarquai une grande allumette avec un coup long
comme un jour sans pain et une galette sur sa te^te qu'entourait
une sorte de fil a` couper le beurre. Ce veau se mit a` bouillir
parce qu'une sorte de croquant (qui en fut baba) lui assaisonnait
les pieds poulette. Mais il cessa rapidement de discuter le bout
de gras pour se couler dans un moule devenu libre.

J'e'tais en train de dige'rer dans l'autobus de retour lorsque
je le vis devant le buffet de la gare Saint-Lazare avec un type
tarte qui lui donnait des conseils a` la flan, a` propos de la
fac,on dont il e'tait dresse'. L'autre en e'tait chocolat.


65. Zoologique.

Dans la volie`re qui, a` l'heure ou` les lions vont boire, nous
emmenait vers la place Champerret j'aperc,us un ze`bre au cou
d'autruche qui portait un castor entoure' d'un mille-pattes.
Soudain, le girafeau se mit a` enrager sous pre'texte qu'une
bestiole voisine lui e'crasait les sabots. Mais pour e'viter de se
faire secouer les puces il cavala vers un terrier abandonne'. <'Je
le revis plus tard devant le jardin d'acclimatation'> Plus tard,
devant le Jardin d'Acclimation, je revis le poulet en train de
pe'pier avec un zoziau a` propos de son plumage.


66. Impuissant.

Comment dire l'impression que produit le contact de dix corps
presse's sur la plate-forme arrie`re d'un autobus S un jour vers
midi du co^te' de la rue de Lisbonne? Comment exprimer l'impression
que vous fait la vue d'un personnage au cou difforme'ment long et
au chapeau dont le ruban est remplace', on ne sait pourquoi, par
un bout de ficelle? Comment rendre l'impression que donne une
querelle entre un voyageur placide injustement accuse' de marcher
volontairement sur les pieds de quelqu'un et ce grotesque
quelqu'un en l'ccurence le personnage ci-dessus de'crit? comment
traduire l'impression que provoque la fuite de ce dernier,
de'guisant sa la^chete' du veule pre'texte de profiter d'une place
assise?

Enfin comment formuler l'impression que cause la re'apparition
de ce sire devant la gare Saint-Lazare deux heures plus tard en
compagnie d'un ami e'le'gant qui lui sugge'rait des ame'liorations
vestimentaires?


67. Modern style.

Dans un omnibus un jour vers midi il m'arriva d'assister a` la
petite tragi-come'die suivante. Un godelureau afflige' d'un long
cou et chose e'trange d'un petit cordage autour du melon (mode qui
fait flore`s mais que je re'prouve), pre'textant soudain de la
presse qui e'tait grande, interpella son voisin avec une arrogance
qui dissimulait mal un caracte`re probablement veule et l'accusa
de pie'tiner avec une me'thode syste'matique ses escarpins vernis
chaque fois qu'il montait ou descendait des dames ou des
messieurs se rendant a` la porte de Champerret. Mais le gommeux
n'attendit point une re'ponse qui l'eu^t sans doute amene' sur le
terrain et grimpa vivement sur l'impe'riale ou` l'attendait une
place libre, car un des occupants de notre ve'hicule venait de
poser son pied sur la molle asphalte du trottoir de la place
Pereire.

Deux heures plus tard comme je me trouvais alors moi-me^me sur
cette impe'riale j'aperc,us le blanc-bec dont je viens de vous
entretenir qui semblait gou^ter fort la conversation d'un jeune
gandin qui lui donnait des conseils copurchic sur la fac,on de
porter le pet-en-l'air dans la haute.


68. Probabiliste.

Les contacts entre habitants d'une grande ville sont
tellement nombreux qu'on ne saurait s'e'tonner s'il se produit
quelquefois entre eux des frictions d'un caracte`re ge'ne'ral sans
gravite'. Il m'est arrive' re'cemment d'assister a` l'une de ces
rencontres de'pourvues d'ame'nite' qui ont lieu en ge'ne'ral dans les
ve'hicules destine's aux transports en commun de la re'gion
parisienne aux heures d'affluence. Il n'y a d'ailleurs rien
d'e'tonnant a` ce que j'en aie e'te' le spectateur car je me de'place
fre'quemment de la sorte. Ce jour-la`, l'incident fut d'ordre
infime, mais mon attention fut surtout attire'e par l'aspect
physique et la coiffure de l'un des protagonistes de ce drame
minuscule. C'e'tait un homme encore jeune, mais dont le cou e'tait
d'une longueur probablement supe'rieure a` la moyenne et dont le
ruban du chapeau e'tait remplace' par du galon tresse'. Chose
curieuse, je le revis deux heures plus tard en train d'e'couter
les conseils d'ordre vestimentaire que lui donnait un camarade en
compagnie duquel il se promenait de long en large, avec
ne'gligence dirai-je.

Il n'y avait que peu de chances cette fois-ci pour qu'une
troisie`me rencontre se produisi^t, et le fait est que depuis ce
jour jamais je ne revis ce jeune homme, conforme'ment aux
raisonnables lois de la vraisemblance.


69. Portrait.

Le stil est un bipe`de au cou tre`s long qui hante les autobus
de la ligne S vers midi. Il affectionne particulie`rement la
plate-forme arrie`re ou` il se tient, morveux, le chef couvert
d'une cre^te entoure'e d'une excroissance de l'e'paisseur d'un doigt
assez semblable a` de la corde. D'humeur chagrine, il s'attaque
volontiers a` plus faible que lui, mais s'il se heurte a` une
riposte un peu vive il s'enfuit a` l'inte'rieur du ve'hicule ou` il
essaie de se faire oublier.

On le voit aussi, mais beaucoup plus rarement, aux alentours
de la gare Saint-Lazare au moment de la mue. Il garde sa peau
ancienne pour se prote'ger contre le froid de l'hiver, mais
souvent de'chire'e pour permettre le passage du corps; cette sorte
de pardessus doit se fermer assez haut gra^ce a` des moyens
artificiels. Le stil, incapable de les de'couvrir lui-me^me, va
chercher alors l'aide d'un autre bipe`de d'une espe`ce voisine, qui
lui fait faire des exercices.

La stilographie est un chapitre de la zoologie the'orique et
de'ductive que l'on peut cultiver en toute saison.

<'Geometrique and Paysan omitted'>


70. Interjections.

Psst! heu! ah! oh! hum! ah! ouf! eh! tiens! oh! peuh! pouah!
oui"e! ou! ai"e! eh! hein! heu! pfuitt!

Tiens! eh! peuh! oh! heu! bon!


71. Pre'cieux.

C'e'tait aux alentours d'un juillet de midi. Le soleil dans
toute sa fleur re'gnait sur l'horizon aux multiples te'tines.
L'asphalte palpitait doucement, exhalant cette tendre odeur
goudronneuse qui donne aux cance'reux des ide'es a` la fois pue'riles
et corrosives sur l'origine de leur mal. Un autobus a` la livre'e
verte et blanche, blasonne' d'un e'nigmatique S, vint recueillir du
co^te' du parc Monceau un petit lot favorise' de candidats voyageurs
aux moites confins de la dissolution sudoripare. Sur la plate-
forme arrie`re de ce chef-d'oeuvre de l'industrie automobile
franc,aise contemporaine, ou` se serraient les transborde's comme
harengs en caque, un garnement approchant a` petits pas de la
trentaine et portant entre un cou d'une longueur quasi serpentine
et un chapeau cerne' d'un cordaginet une te^te aussi fade que
plombagineuse e'leva la voix pour se plaindre avec une amertume
non feinte et qui semblait e'maner d'un verre de gentiane, ou de
tout autre liquide aux proprie'te's voisines, d'un phe'nome`ne de
heurt re'pe'te' qui selon lui avait pour origine un co-usager
pre'sent _hic_et_nunc_ de la STCRP. Il prit pour e'lever sa plainte
le ton aigre d'un vieux vidame qui se fait pincer l'arrie`re-train
dans une vespasienne et qui par extraordinaire n'approuve point
cette politesse et ne mange pas de ce pain-la`. Mais de'couvrant
une place vide il s'y jeta.

Plus tard, comme le soleil avait de'ja` descendu de plusieurs
degre's l'escalier monumental de sa parade ce'leste et comme de
nouveau je me faisais ve'hiculer par un autre autobus de la me^me
ligne, j'aperc,us le personnage plus haut de'crit qui se mouvait
dans la cour de Rome de fac,on pe'ripate'tique en compagnie d'un
individu _ejusdem_farinae_ qui lui donnait, sur cette place voue'e
a` la circulation automobile, des conseils d'une e'le'gance qui
n'allait pas plus loin que le bouton.


72. Inattendu.

Les copains e'taient assis autour d'une table de cafe' lorsque
Albert les rejoignit. Il y avait la` Rene', Robert, Adolphe,
Georges, The'odore.
-- Alors c,a va? demande cordialement Robert.
-- c,a va, dit Albert.
Il appela le garc,on.
-- Pour moi, ce sera un picon, dit-il.
Adolphe se tourna vers lui:
-- Alors, Albert, quoi de neuf?
-- Pas grand-chose.
-- Il fait beau, dit Robert.
-- Un peu froid, dit Adolphe.
-- Tiens, j'ai vu quelque chose de dro^le aujourd'hui, dit Albert.
-- Il fait chaud tout de me^me, dit Robert.
-- Quoi? demanda Rene'.
-- Dans l'autobus, en allant de'jeuner, re'pondit Albert.
-- Quel autobus?
-- L'S.
-- Qu'est-ce que tu as vu? demanda Robert.
-- J'en ai attendu trois au moins avant de pouvoir monter.
-- A cette heure-la` c,a n'a rien d'e'tonnant, dit Adolphe.
-- Alors qu'est-ce que tu as vu? demanda Rene'.
-- On e'tait serre's, dit Albert.
-- Belle occasion pour le pince-fesse.
-- Peuh, dit Albert. Il ne s'agit pas de c,a.
-- Raconte alors.
-- A co^te' de moi il y avait un dro^le de type.
-- Comment? demanda Rene'.
-- Grand, maigre, avec un dro^le de cou.
-- Comment? demanda Rene'.
-- Comme si on lui avait tire' dessus.
-- Une e'longation, dit Georges.
-- Et son chapeau, j'y pense: un dro^le de chapeau.
-- Comment? demanda Rene'.
-- Pas de ruban, mais un galon tresse' autour.
-- Curieux, dit Robert.
-- D'autre part, continua l'Albert, c'e'tait un ra^leur ce type.
-- Pourquoi c,a? demanda Rene'.
-- Il s'est mis a` engueuler son voisin.
-- Pourquoi c,a? demanda Rene'.
-- Il pre'tendait qu'il lui marchait sur les pieds.
-- Expre`s? demanda Robert.
-- Expre`s, dit Albert.
-- Et apre`s?
-- Apre`s? il est alle' s'asseoir, tout simplement.
-- C'est tout? demanda Rene'.
-- Non. Le plus curieux c'est que je l'ai revu deux heures plus
tard.
-- Ou` c,a? demanda Rene'.
-- Devant la gare Saint-Lazare.
-- Qu'est-ce qu'il fichait la`?
-- Je ne sais pas, dit Albert. Il se promenait de long en large
avec un copain qui lui faisait remarquer que le bouton de son
pardessus e'tait place' un peu trop bas.
-- C'est en effet le conseil que je lui donnais, dit The'odore.

<end>

--
(< __|~`---, <( _ , Linguistics Dept. __ U. of TX .
)> \ _ * | >) ' )__/ _ ____ __ _ , / ' : churchh@emx.
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)> Austin`-' TX >) .................... / ...................:...............

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