Chers Collègues,
J'ai été partagé entre l'indignation et l'affliction en découvrant la publicité présentant par mail les parutions en sociologie de L'Harmattan pour le mois de juin 2010.
Voilà les propos inacceptables que l'on peut lire dans le résumé d'un ouvrage publié par un éditeur scientifique qui voudrait être pris au sérieux, les deux dernières phrases étant aussi stupides que révoltantes :
SOCIOLOGIE JUIN 2010
> 700 MILLIONS DE (GAYS) GEIS
> Chekib Tijani
> L'auteur démontre qu'un corps masculin peut être investi d'une identité féminine et un corps féminin d'une identité masculine. Les sujets de cette nature sont désignés ici par le mot "geis" signifiant personnes de Genre Endogène Inversé. Les homosexuels ou gays sont en fait dans leur grande majorité ces personnes de genre inversé, les geis. Cet état d'inversion identitaire doit être considéré comme un dysfonctionnement qu'il est possible et nécessaire de prévenir pour l'épargner aux enfants à naître.
> ISBN : 978-2-296-12448-6 &bull juin 2010 &bull 106 pages Prix éditeur : 11 euros
BON DE COMMANDE
> A retourner à L'HARMATTAN
> 7 rue de l'École Polytechnique 75005 Paris >
Il est lamentable que L'Harmattan prête son concours à la diffusion d'idées qui sentent le ranci. Si l'on en croit le résumé - qui ne semble avoir posé aucun problème ni à l'auteur, ni à l'éditeur de la collection, ni ausxresponsables des éditions l'Harmattan -, l'homosexualité constitue un "dysfonctionnement qu'il est possible et nécessaire de prévenir pour l'épargner aux enfants à naître" !!! Ce type d'idées réactionnaires ne relève pas de la liberté d'expression, car formuler des âneries est une chose, mais propager des idées dangereuses en est une autre. On se souvient comment, pendant la seconde guerre mondiale, d'aucuns ont cherché à remédier au "dysfonctionnement" (sic) qui touchait les homosexuels, pour leur plus grand bien, évidemment...
Alors que les dernières décennies ont vu remarquablement progresser l'acceptation sociale de l'homosexualité en France, les éditions L'Harmattan offrent la tribune d'une maison d'édition scientifique pour défendre des positions stupides, insoutenables, passéistes et dangereuses. Et L'Harmattan de se ridiculiser tout autant que l'auteur lorsque celui-ci prétend "démontrer" (sic) la thèse défendue.
Je trouve ces dérives très graves car elles témoignent d'une inadmissible carence du processus éditorial et scientifique aux éditions L'Harmattan. Cette maison aurait-elle laissé passer avec la même légéreté, la même inconscience même, un ouvrage tenant des propos révisionnistes ? Vu la gravité des propos tenus par l'auteur, on est en droit de se poser la question.
Je pense que tous les auteurs ayant déjà publié chez L'Harmattan voient remettre en cause le sérieux de leur travail, car il est clair à partir d'un cas aussi énorme, que le processus éditorial de L'Harmattan présente des failles et même des abîmes. Et en tant qu'auteurs, effectifs ou potentiels, de Sociologie de l'art et des actes relatifs aux rencontres Opus, nous sommes tous atteints par la diffusion par l'Harmattan d'ouvrages comportant des thèses détestables et qui, sous le couvert de la science, ne font que propager des idées réactionnaires insoutenables.
Seule consolation, l'ouvrage litigieux n'a pas été publié dans une collection de sociologie, mais de psychologie.
Vu la gravité des faits, je vous invite à protester comme je l'ai déjà fait auprès du service de presse de L'Harmattan à l'adresse suivante :
presse.h...@wanadoo.fr
Il me semble indispensable que L'Harmattan assume ses resposabilités vis-à-vis du directeur de collection qui a laissé passer ce texte aux thèses détestables et présente des excuses pour retrouver un minimum de crédibilité auprès de la communauté scientifique.
J'ai toujours défendu qu'il existait de bons ouvrages publiés chez l'Harmattan lorsque j'ai débattu des maisons d'édition avec mes collègues, que ce soit au comité national du CNRS, au CNU puis à l'AERES. Mais que l'Harmattan publie maintenant des ouvrages aux thèses passéistes voire réactionnaires sous le couvert de la science, je trouve cela inadmissible et s'il ne s'agit pas d'une faute que L'Harmattan décide d'assumer comme telle, je me rallierai aux positions de ceux qui ont toujours marqué leurs distances avec cet éditeur.
Cordialement.
Alain Quemin
professeur de sociologie
Université Paris-Est / Institut Univesitaire de France / LATTS
Autant la protestation et la vigilance critique sont indispensables,
autant une mont�e en g�n�ralit� me semble peu l�gitime.
Malgr� des limites (mais que l'�diteur parfait lui jette la premi�re
pierre!), l'Harmattan joue un r�le incontestablement positif dans notre
discipline: non seulement pour la publication des th�ses, mais aussi
pour la publication de "collectifs", et �galement pour la reprise de
certains textes.
Fran�ois de Singly
Cher Philippe,
Tu conçois tout à fait que l'on critique la présentation de ce livre ou ... tu t'associes aux protestations que celui-ci commence à soulever ??? Parce que la stupidité des propos tenus et même leur caractère dangereux me semblent suffisamment établis pour s'engager véritablement contre cet ouvrage et demander à l'éditeur qu'il reconnaisse sa faute, qu'il assume ses responsabilités et qu'il retire au plus vite cet imprimé de son catalogue.
J'ai fait état du résumé diffusé par l'Harmattan, mais le 4ème de couverture, davantage développé, est pire encore : on y apprend également que l'humanité compte 10% d'homosexuels (carrément ! Les auteurs de l'enquëte ACSF et autres chercheurs sérieux peuvent aller se rhabiller...) et que les homosexuels vivent de façon non harmonieuse (sic). Tout cela, en plus de l'appel à éradiquer le dysfonctionnement que constitue l'homosexualité, est accompagné du nom et du logo des éditions L'Harmattan, donc de leur caution. Car un éditeur, je suis désolé, c'est davantage qu'un imprimeur...
Un éditeur scientifique peut-il impunément publier de telles sottises en se cachan derrière les autres ouvrages, de qualité, qu'il publie, comme si cela venait contrebalancer ? Peut-on à ce titre accepter de tels dérapages ? Et pourquoi pas des ouvrages racistes ou révisionnistes si l'on publie par ailleurs souvent de bons travaux ??
Tu as raison d'insister sur la responsabilité de l'auteur, mais à quoi servent les directeurs de collection et une maison d'édition n'engage-t-elle pas sa réputation et son crédit scientifique à travers les ouvrages qu'elle publie ?
Ici, il s'agit à tout le moins clairement d'un dérapage inacceptable, honteux pour l'Harmattan, qui a été dûment signalé à ses services voilà une semaine.
A cette maison de se comporter en éditeur responsable en retirant de son catalogue un livre qui la discrédite, en prenant les mesures appropriées contre le directeur de collection qui a laissé passer ce texte à l'idéologie détestable apparemment sans sourciller ou sans alerter le directeur, et à l'Harmattan de présenter des excuses.
Cordialement.
Alain
Alain Quemin
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> De : zarifian philippe <philippe...@orange.fr>
> Répondre à : <sociologuesdelens...@googlegroups.com>
> Date : Mon, 28 Jun 2010 06:28:46 +0200
> À : <sociologuesdelens...@googlegroups.com>
> Objet : Re: Liste ASES:1098 sur une parution de l'Harmattan
>
> Je conçois tout à fait qu'on critique la présentation de ce livre (présentation toujours faite par l'auteur), mais de là à attaquer les éditions L'Harmattan en général, il y a un pas qu'on ne peut pas franchir, sauf à ouvrir une sérieuse controverse entre nous. En particulier les éditions L'Harmattan font depuis un grand nombre d'années un travail remarquable pour éditer, en particulier les pubications de jeunes auteurs, dont un grand nombre de sociologues dans la collection Logiques Sociales, collection dont je soutiens fortement l'existence.
> Philippe Zarifian
>
> ----- Original Message -----
>
> From: Jean-Luc Richard <mailto:jean-luc...@univ-rennes1.fr>
>
> To: sociologuesdelens...@googlegroups.com
>
> Cc: Alain Quemin <mailto:afres...@wanadoo.fr>
> ------ Fin du message transféré
>
Merci pour cette intéressante contribution qui me semble évidemment très informée par le position de directeur de collection.
Mais n'y aurait-il pas un petit complément à apporter comme scientifique et même comme citoyen par rapport aux propos tenus dans l'ouvrage discuté ??
Ou alors, cela ne pose-t-il vraiment aucun problème et ne mérite-til vraiment pas d'être abordé dans une réponse ????
L'Harmattan a commis une faute, à cet éditeur de la réparer et de faire en sorte que cela ne se reproduise plus.
Cordialement.
Alain Quemin
-------
> Objet : Liste ASES:1099 Du bon usage de "la montée en généralité"
>
>
> Il doit bien y avoir un "mauvais" professeur de sociologie en France.
> Imaginons que cela arrive. Est-ce qu'on devrait dénoncer l'ensemble du
> "corps" sous ce prétexte?
>
> Autant la protestation et la vigilance critique sont indispensables,
> autant une montée en généralité me semble peu légitime.
>
> Malgré des limites (mais que l'éditeur parfait lui jette la première
> pierre!), l'Harmattan joue un rôle incontestablement positif dans notre
> discipline: non seulement pour la publication des thèses, mais aussi
> pour la publication de "collectifs", et également pour la reprise de
> certains textes.
>
>
> François de Singly
>
Bien cordialement,
bonnes vacances à tous, même tard...
Ali AIT ABDELMALEK, Professeur des Universités en Sociologie
Directeur du LADEC-LAS,
Université de Rennes 2 (U.F.R. " Sciences Humaines ")
6, Avenue Gaston Berger 35043 - RENNES-Cédex
02 99 14 19 79 (répondeur)
02 99 14 19 05 (Fax)
mailto:ali.aita...@univ-rennes2.fr
http://www.uhb.fr
----- Message de fran...@singly.org ---------
Date : Mon, 28 Jun 2010 07:42:08 +0200
De : Singly Francois de <fran...@singly.org>
Répondre à : sociologuesdelens...@googlegroups.com
Objet : Liste ASES:1099 Du bon usage de "la montée en généralité"
À : sociologuesdelens...@googlegroups.com
>
> Il doit bien y avoir un "mauvais" professeur de sociologie en
> France. Imaginons que cela arrive. Est-ce qu'on devrait dénoncer
> l'ensemble du "corps" sous ce prétexte?
>
> Autant la protestation et la vigilance critique sont indispensables,
> autant une montée en généralité me semble peu légitime.
>
> Malgré des limites (mais que l'éditeur parfait lui jette la première
> pierre!), l'Harmattan joue un rôle incontestablement positif dans
> notre discipline: non seulement pour la publication des thèses, mais
> aussi pour la publication de "collectifs", et également pour la
> reprise de certains textes.
>
>
> François de Singly
>
> --
> Vous avez reçu ce message, car vous êtes abonné(e) au groupe
> Groupe "Association des sociologues de l'enseignement supérieur" de
> La liste de sociologues de l'enseignement supérieur est gérée par
> l'Association des Sociologues de l'Enseignement Supérieur (ASES).
> Voir le site : http://www.sociologuesdusuperieur.org/
>
> Pour transmettre des messages à ce groupe, envoyez un e-mail à
> l'adresse sociologuesdelens...@googlegroups.com
> Pour résilier votre abonnement à ce groupe, envoyez un e-mail à
> l'adresse
> sociologuesdelenseignem...@googlegroups.com
> Pour afficher d'autres options, visitez ce groupe à l'adresse
> http://groups.google.com/group/sociologuesdelenseignementsuperieur?hl=fr
>
----- Fin du message de fran...@singly.org -----
Il me semblait important, à toutes fins utiles, de rappeler le résumé de
l'ouvrage initialement cité par Alain Quemin. La dernière phrase, en
particulier, me paraît propice à susciter une indignation à la fois chez les
sociologues (a priori habitués à réfléchir professionnellement sur le
stigmate et sur la norme, et donc à considérer l'idée de "dysfonctionnement"
avec prudence) et, plus largement, chez les citoyens (ou du moins chez ceux
qui considèrent qu'on n'a pas à décréter de manière péremptoire et normative
quels supposés dysfonctionnements doivent être épargnés aux enfants à
naître...)
Ce résumé a certainement été rédigé par l'auteur mais forcément
également validé par l'éditeur (que cette validation ait été explicite ou
implicite, elle a été effective puisque ce résumé est parvenu à plusieurs
d'entre nous).
La question, à mon sens, n'est donc pas de savoir si L'Harmattan, de
manière générale, est une bonne maison d'édition ou pas, si certains des
contributeurs à la liste de discussion ont vu leurs ouvrages publiés dans
cette maison servir leur carrière ou pas, ou si le métier d'éditeur comporte
des risques ou pas... La question est simplement de savoir comment l'on
réagit, en tant que sociologue et en tant que citoyen, aux quelques phrases
copiées à nouveau en début de ce message.
À titre personnel, les termes d'indignation et d'affliction utilisés par
Alain Quemin me conviennent parfaitement... Ainsi que l'expression de cette
indignation et de cette affliction auprès du service de presse de
L'Harmattan (auquel j'ai envoyé un mail dès le 23 juin). J'aurais espéré
que, au-delà des prises de position très générales sur l'édition en sciences
sociales, nous aurions été nombreux à nous manifester à propos du résumé de
l'ouvrage en question (qui ne figure plus, ce soir, sur le catalogue en
ligne de L'Harmattan... Signe que les protestations ont peut-être finalement
été efficaces et que, pendant que nous échangions sur la légitimité de
L'Harmattan, cette maison a réagi dans le sens qui s'imposait, selon
certains d'entre nous).
Cordialement,
Clara Lévy (maître de conférences en sociologie à l'Université de
Nancy 2).