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Paprika (2006) Satoshi Kon

9 vues
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Olivier Paquet

non lue,
8 déc. 2006, 05:58:2808/12/2006
à
PAPRIKA, de Satoshi Kon. 2006. 1h30. D'après le roman de Yasutaka
Tsutsui. Musique : Susumu Hirasawa.


Sorti dans les salles françaises avant la sortie japonaise, le dernier
film du réalisateur Satoshi Kon représente l'apothéose d'un travail
menée depuis 1998 et son premier film "Perfect Blue". Paprika reprend
tous les thèmes de ses films et les précise. Dans le premier, la jeune
chanteuse Mima, reconvertie dans le cinéma, découvrait un blog rédigé
par quelqu'un se désignant comme la "vraie" Mima. Dans "Millenium
Actress" des journalistes partis interviewer une actrice à la retraite
se trouvaient projetés dans la vie et les films de celle-ci. Dans "Tokyo
godfathers", des clochards, des laissés pour compte, partaient à la
recherche des parents d'un bébé abandonné, qui mettaient à bas tous
leurs mensonges personnels. Enfin, la série télévisée "Paranoia Agent"
mettait en scène un fantasme individuel qui se transformait en hystérie
collective propre à la société japonaise.
Paprika réunit tout cela, non seulement les effets de la pop-culture et
de la culture de consommation de masse comme folie collective, mais
aussi la difficulté de discerner les frontières entre rêve, virtuel et
réalité à l'échelon individuel.
Le principe du film, c'est la DC Mini, une machine permettant à un
pychothérapeute de se créer un double onirique et de s'introduire dans
les rêves de son patient. Le problème survient lorsque des DC Mini sont
volées et que le coupable s'en sert pour introduire des rêves dans des
personnes éveillées. On suit donc le docteur Atsuko Chiba (femme froide,
professionnelle et distante) à la fois dans sa recherche du voleur mais
aussi dans son travail d'analyse du rêve d'un policier, à l'aide de son
double onirique, Paprika (fille rousse, délurée et malicieuse).
A partir de ce canevas, Satoshi Kon développe un délire visuel autant
jouissif que maîtrisé. Animation, couleurs et musiques créent une
ambiance de folie, mais le récit reste toujours sous contrôle. A ce
titre, le rêve du policier est un exemple. Il intervient trois fois dans
le film, et chaque modification apporte une signification plus précise
jusqu'au "décodage" final. Les rêves, mis en scène dans "Paprika",
manipulent des références enfantines (poupées, robots) ou adolescentes,
mais n'ont rien de rassurant, bien au contraire. A ce titre, Satoshi Kon
est un double négatif de Miyazaki dans le sens où les rêves ne sont pas
un refuge, une manière de fuir ou d'affronter la modernité.
Car l'enjeu du film est là : affronter le réel. Il ne s'agit pas de
lutter contre le rêve, mais d'en tirer les enseignements nécessaires.
Ainsi, dans une scène majeure, quand Atsuko Chiba et Paprika se trouvent
face à face, quand la chercheuse refuse que son double lui donne des
ordres, Paprika réplique : "Te crois-tu réellement supérieure à moi ?"
Cette question conduira la femme réelle à assumer totalement ce qu'elle
est et ressent. Même chose pour le policier qui déteste le cinéma. Il en
apprendra la raison et quand il demandera s'il a trahi ses rêves,
Paprika lui expliquera pourquoi ce n'est pas le cas, et c'est bien le
réel qui compte.
Dans une interview, Satoshi Kon expose plus précisément son propos :
"Contrairement à l'enfant, être adulte, c'est la faculté de ne pas être
envahi par le rêve. Il (le policier) va de lui-même au cinéma, décide de
rêver, et ce qu'il faut retenir, c'est que finalement (le policier) en
est ressorti grandi."
La richesse du film tient aussi au fait qu'il est l'adaptation d'un
roman de Yasutaka Tsutsui, l'un des auteurs de science-fiction les plus
connus dans son pays. Fait rare, c'est l'auteur qui a demandé au
réalisateur de faire l'adaptation. Tsutsui s'est caractérisé dans toute
son oeuvre par son caractère iconoclaste et incorrect (lire sa nouvelle
"Le dernier fumeur au monde" dans le recueil _Utopiae 2006_ aux éditions
l'Atalante). Comme dans a peu près toute la SF japonaise des années 70,
le roman que "Paprika" adapte est aussi une manière de critiquer
l'autorité des générations plus vieilles sur les trente ou
quarantenaires. Cette domination est présentée comme la source de la
plupart des frustrations et de la recherche d'une fuite à travers la
culture populaire. Tsutsui ou Satoshi Kon sont les enfants de la
pop-culture, ils ne la renient pas, ils veulent juste la remettre à sa
place, éviter qu'elle devienne un but de société, un centre autour
duquel tout le monde doit graviter au lieu de remettre en cause la
société elle-même et ses rigidités.
Paprika est une jeune fille qui bouge, vole, vit, elle est comme le
film de Satoshi Kon, un film alerte, riche, perturbant. On peut lui
reprocher un léger manque de sentiments (le personnage du policier dans
la série "Paranoia Agent" était plus émouvant, sans doute parce qu'il
représentait la valeur du pardon, chose rare pour la société japonaise),
mais il compense par une vivacité et un récit surprenant de malice.

--
Olivier PAQUET

Vincent Clavien

non lue,
9 déc. 2006, 06:02:3909/12/2006
à
On 8 déc, 11:58, Olivier Paquet <E...@thetys.isamble.fr> wrote:
> Sorti dans les salles françaises avant la sortie japonaise, le dernier
> film du réalisateur Satoshi Kon représente l'apothéose d'un travail
> menée depuis 1998 et son premier film "Perfect Blue". Paprika reprend
> tous les thèmes de ses films et les précise. Dans le premier, la jeune
> chanteuse Mima, reconvertie dans le cinéma, découvrait un blog rédigé
> par quelqu'un se désignant comme la "vraie" Mima. Dans "Millenium
> Actress" des journalistes partis interviewer une actrice à la retraite
> se trouvaient projetés dans la vie et les films de celle-ci. Dans "Tokyo
> godfathers", des clochards, des laissés pour compte, partaient à la
> recherche des parents d'un bébé abandonné, qui mettaient à bas tous
> leurs mensonges personnels. Enfin, la série télévisée "Paranoia Agent"
> mettait en scène un fantasme individuel qui se transformait en hystérie
> collective propre à la société japonaise.

On peut aussi mentionner "Magnetic Rose" (premier sketch de
"Memories"), si je ne me trompe pas, puisque c'est Kon qui s'est
chargé de l'adaptation scénaristique à partir du manga d'Ôtomo. Ne
connaissant pas ce manga, je ne peux pas dire ce que Kon a amené
exactement, mais c'est quand même frappant de voir à quel point le
propos de "Magnetic Rose" (difficulté d'accepter la réalité,
tentation de fuite dans les souvenirs) cadre parfaitement avec le reste
de la filmographie de Kon.

Merci pour la critique, ça donne très envie de voir ce film (mais je
doute qu'il sorte en Suisse... ;_; )

M@X

non lue,
9 déc. 2006, 08:09:5509/12/2006
à
"Vincent Clavien" a écrit dans le message de news:

> Merci pour la critique, ça donne très envie de voir ce film <ZAP>

Pareil, c'est tjrs un plaisir de lire tes critiques.
Et malheureusement, le film ne passe pas par chez moi...
J'ai l'impression que le nombre de copies dispo en salles est quand même pas
énorme...
Sniff...

@+


Xavier Roche

non lue,
11 déc. 2006, 01:44:3811/12/2006
à
M@X wrote:
>> Merci pour la critique, ça donne très envie de voir ce film <ZAP>
> Pareil, c'est tjrs un plaisir de lire tes critiques.

<aol>Mitou</aol>

> Et malheureusement, le film ne passe pas par chez moi...
> J'ai l'impression que le nombre de copies dispo en salles est quand même pas
> énorme...

50 salles, c'est un peu le minimum syndical effectivement :( Et il faut
se trainer à l'UGC de la défense pour avoir une salle correcte..

Et la campagne d'affichage a été plus que discrète (je veux dire: même
dans la capitale)

Xavier Roche

non lue,
11 déc. 2006, 02:03:1511/12/2006
à
Olivier Paquet wrote:
> Musique : Susumu Hirasawa.

A ce propos, la musique (qui colle très bien, amha, au film) évoque
fortement la BO de Millenium Actress. Est-ce un hazard ou est-ce une
demande explicite de Satoshi Kon à Susumu Hirasawa ? Car je suis tout à
fait d'accord également pour dire que non seulement beaucoup de plans
évoquent ce précédent film, mais les obsessions de l'auteur à travers
ses oeuvres se retrouvent ici peut être de manière encore plus marquées:
Paprika ressemble vraiment à un condensé (dans le bon sens du terme) de
ses précédents films et séries (impression renforcée par les clins
d'oeils multiples à ses précédentes oeuvres, au passage)

Enfin, juste pour ajouter que le boulot du studio Mad House était
vraiment excellent (j'ai cru apercevoir également le studio IG dans le
lot, et pas mal de sous-traitants coréens), avec une maitrise technique
assez bluffante (et une 3D qui n'est pas omniprésente). Et là encore je
rejoins l'avis de certains critiques: non seulement l'animation peut
donner des films aussi matures et techniquement aboutis qu'en prises de
vue réelles (non, sans blagues ?), mais imaginer refaire Paprika dans un
tel format serait probablement totalement inaccessible.

> Sorti dans les salles françaises avant la sortie japonaise

A ce propos toujours, ce n'est pas la première fois (de mémoire, Ghost
In The Shell II était également sorti avant non ?) - test du marché
exterieur avant de se décider de faire une sortie en salles ou en vidéo ?

> Olivier PAQUET

Merci en tout cas pour cette excellente critique.

Arnaud Vajda

non lue,
11 déc. 2006, 09:37:1311/12/2006
à
Xavier Roche wrote:
> Olivier Paquet wrote:
>> Musique : Susumu Hirasawa.
>
> A ce propos, la musique (qui colle très bien, amha, au film) évoque
> fortement la BO de Millenium Actress. Est-ce un hazard ou est-ce une
> demande explicite de Satoshi Kon à Susumu Hirasawa ? Car je suis tout à
> fait d'accord également pour dire que non seulement beaucoup de plans
> évoquent ce précédent film, mais les obsessions de l'auteur à travers
> ses oeuvres se retrouvent ici peut être de manière encore plus marquées:
> Paprika ressemble vraiment à un condensé (dans le bon sens du terme) de
> ses précédents films et séries (impression renforcée par les clins
> d'oeils multiples à ses précédentes oeuvres, au passage)

C'est surtout que la musique de Susumu Hirasawa est assez
reconnaissable. Du coup, on a l'impression qu'on l'a déjà entendue (ça
m'a fait le coup avec le générique de Paranoia Agent que je pensais déjà
avoir entendu dans Berserk).

> Enfin, juste pour ajouter que le boulot du studio Mad House était
> vraiment excellent (j'ai cru apercevoir également le studio IG dans le
> lot, et pas mal de sous-traitants coréens), avec une maitrise technique
> assez bluffante (et une 3D qui n'est pas omniprésente). Et là encore je
> rejoins l'avis de certains critiques: non seulement l'animation peut
> donner des films aussi matures et techniquement aboutis qu'en prises de
> vue réelles (non, sans blagues ?), mais imaginer refaire Paprika dans un
> tel format serait probablement totalement inaccessible.

Comme le disait Olivier, c'est l'auteur du bouquin lui-même qui est venu
chercher Kon après avoir vu Millenium Actress, car il s'est dit qu'avec
un traitement pareil, son oeuvre était adaptable. En parlant
d'adaptation de SF en anime, j'ai cru entendre qu'une nouvelle de Serge
Brusollo serait adaptée dans peu de temps en anime ?

>> Sorti dans les salles françaises avant la sortie japonaise
>
> A ce propos toujours, ce n'est pas la première fois (de mémoire, Ghost
> In The Shell II était également sorti avant non ?) - test du marché
> exterieur avant de se décider de faire une sortie en salles ou en vidéo ?

Plutôt une conséquence de son passage dans divers festivals européens
(et donc achat par des distributeurs). GITS II était passé par Cannes et
Parpika par Venise. Je ne pense pas qu'il ait jamais été question que
Paprika soit un direct-to-video au Japon, vu le budget alloué et la
reconnaissance internationale du titre. Par contre, comme d'habitude,
pas de copie en Belgique. Je vais encore devoir attendre qu'une copie
française arrive pour le prochain festival Anima pour le voir sur grand
écran (dans cette salle merdique qu'est le Passage 44 à Bruxelles...>_<).

>> Olivier PAQUET
>
> Merci en tout cas pour cette excellente critique.

AOL +1 ! ^_^

--
http://thewu.free.fr/

M@X

non lue,
11 déc. 2006, 10:14:3511/12/2006
à
"Arnaud Vajda" a écrit dans le message de news:

> Comme le disait Olivier, c'est l'auteur du bouquin lui-même qui est venu
> chercher Kon après avoir vu Millenium Actress, car il s'est dit qu'avec un
> traitement pareil, son oeuvre était adaptable. En parlant d'adaptation de
> SF en anime, j'ai cru entendre qu'une nouvelle de Serge Brusollo serait
> adaptée dans peu de temps en anime ?

Caro (le copain de Jean-Pierre Jeunet) finalise Dante 01, d'après un scénar
écrit avec/par (?) Brusollo : Dante 01.
Mais c'est un film live, pas un anime...
http://www.lexpress.fr/mag/arts/dossier/makingof/dossier.asp?ida=454335&p=1


Jean-Marc Desperrier

non lue,
11 déc. 2006, 10:17:5711/12/2006
à
Arnaud Vajda wrote:
> Xavier Roche wrote:
>> Olivier Paquet wrote:
>> A ce propos toujours, ce n'est pas la première fois (de mémoire, Ghost
>> In The Shell II était également sorti avant non ?) - test du marché
>> exterieur avant de se décider de faire une sortie en salles ou en vidéo ?
>
> Plutôt une conséquence de son passage dans divers festivals européens
> (et donc achat par des distributeurs). GITS II était passé par Cannes et
> Parpika par Venise. Je ne pense pas qu'il ait jamais été question que
> Paprika soit un direct-to-video au Japon, vu le budget alloué et la
> reconnaissance internationale du titre.

Je crois qu'il y a eu une situation assez similaire autour de Jin Roh ?

Et apparement la situation dans ce genre de cas est que les producteurs
sont inquiets de savoir si la sortie au Japon va rentabiliser un titre
ambitieux, coûteux, et un peu difficile d'accès pour le fan de base mais
qu'ils pensent pouvoir ramener des arguments promotionnels pour ce titre
de l'étranger.

D'où semble-t-il la décision d'essayer de faire passer dans un maximum
de festivals pour récolter autant de prix que possible, et probablement
aussi les sorties à l'étranger doivent jouer un rôle pour pouvoir dire
que tant de personnes s'y sont précipitées pour le voir.

En tout cas c'est un peu ce que j'avais entendu d'un japonais en
discutant de Jin Roh, je lui expliquait comment les européens étaient
heureux de l'avoir vu avant le Japon, il me répondait que sur place les
producteurs avaient visiblement les chocottes de se planter
financièrement dessus et basaient leur campagne de pub avant la sortie
sur le super succès international qu'il avait déjà reçu.

Loïc Joly

non lue,
12 déc. 2006, 19:18:1912/12/2006
à Xavier Roche
Xavier Roche a écrit :

>
> 50 salles, c'est un peu le minimum syndical effectivement :( Et il faut
> se trainer à l'UGC de la défense pour avoir une salle correcte..

Merci d'avoir dit ça, ça m'a permi de me rendre compte qu'il y passait
aujourd'hui pour le dernier jour, et j'ai donc pu le voir in-extremis.
J'ai bien aimé.

--
Loïc

Loïc Joly

non lue,
12 déc. 2006, 19:18:3012/12/2006
à
Xavier Roche a écrit :

>
> 50 salles, c'est un peu le minimum syndical effectivement :( Et il faut
> se trainer à l'UGC de la défense pour avoir une salle correcte..

Merci d'avoir dit ça, ça m'a permi de me rendre compte qu'il y passait

Vincent B.

non lue,
21 déc. 2006, 10:29:3921/12/2006
à
Olivier Paquet wrote:

> PAPRIKA, de Satoshi Kon. 2006. 1h30. D'après le roman de Yasutaka
> Tsutsui. Musique : Susumu Hirasawa.
>

> A partir de ce canevas, Satoshi Kon développe un délire visuel autant
> jouissif que maîtrisé.

Oui, effectivement, c'est l'adjectif qui m'est venu spontanément en sortant
de la salle. Jouissif. Le scénar est pas très original en soi (Enfin, il
l'aurait peut-être été y'a 30 ans, mais plus maintenant), l'intrigue est
relativement linéaire, mais c'est sacrément entrainant, ça m'a vraiment mis
de bonne humeur... Pour le reste, je n'ai à priori rien à ajouter à
l'analyse d'Olivier, même si j'ai l'impression que le film est beaucoup
plus un film sentimental, qui se vit, qu'un film qui veut véhiculer des
idées... en tout cas, des idées nouvelles.

--
Vincent B.

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