"La CGT Cheminots ne fait pas la grève du harcèlement moral"
Julius
http://www.mediapart.fr/journal/france/080110/la-cgt-cheminots-ne-fait-pas-la-greve-du-harcelement-moral
09 Janvier 2010
Par Fabrice Arfi
Les hasards du calendrier offrent parfois des surprises d�sagr�ables. Le
22 d�cembre dernier, la CGT publiait sur son site un communiqu� qui
mettait en cause un Medef �en roue libre� sur le th�me de la �violence�
et du �harc�lement au travail�, r�clamant une batterie de mesures parmi
lesquelles: �la nullit� de toute rupture de contrat r�sultant d'un
harc�lement�. Le lendemain, le 23 d�cembre, le tribunal des prud'hommes
de Paris a notifi� au comit� central d'entreprise (CCE) de la SNCF trois
condamnations pour harc�lement moral.
Et qui dirige le CCE de la SNCF, un mastodonte au budget annuel de pr�s
de 50 millions d'euros? La CGT.
Au total, la direction du CCE a �t� condamn�e � verser 133.000 euros �
trois anciennes salari�es reconnues victimes de harc�lement moral, comme
l'attestent les jugements dont Mediapart a obtenu copie.
L'histoire de ces trois femmes, toutes d'anciennes comptables de la
direction financi�re du CCE, ne laisse pas d'interroger. Comment la
principale organisation syndicale fran�aise peut-elle � ce point se
prendre les pieds dans le tapis du droit du travail ? Car ce n'est pas
la premi�re fois que la CGT Cheminots, la f�d�ration d'o� vient le
patron du syndicat, Bernard Thibault, est condamn�e devant les
prud'hommes pour sa gestion sociale tr�s controvers�e du comit� central
d'entreprise de la SNCF ou de ses comit�s en r�gion.
A Tours, Lyon et Paris, d'autres affaires similaires ont surgi ces
derni�res ann�es.
Tous les dossiers ont un point commun. Les victimes sont des dissidents
de la CGT ou, du moins, de ce qu'elle est devenue, disent-ils. Il
s'agit, la plupart du temps, d'anciens militants qui ont, un jour,
d�cid� de d�noncer certaines d�rives. D�s 2003, les �h�r�tiques� se sont
regroup�s sous la banni�re d'une organisation autonome baptis�e Tous
Ensemble. C'est notamment le cas des trois salari�es du CCE qui viennent
de faire condamner leur direction devant la justice parisienne.
Leur r�cit, qu'elles ont souhait� anonyme � certaines d'entre elles sont
� la recherche d'un emploi �, raconte les petites et grandes
humiliations qui peuvent prendre racine dans le quotidien du monde de
l'entreprise. M�me si c'est la CGT, le patron.
L'une a racont� au tribunal comment elle avait �t� l'objet d'une
proc�dure disciplinaire injustifi�e ; comment son employeur a refus�
syst�matiquement ses reports de cong�s ; comment ses t�ches de travail
ont �t� chang�es sans crier gare ; comment les codes d'acc�s � son
ordinateur ont �t� discr�tement modifi�s sans que la principale
int�ress�e en soit inform�e...
Une salari�e t�moigne: �C'est effrayant�
Autant de faits, prouv�s par la salari�e selon le jugement, qui
�permettent de pr�sumer l'existence d'un harc�lement en raison de leur
nature, de leur r�p�tition dans le temps et de leur survenance
post�rieure � l'adh�sion (...) au syndicat Tous Ensemble�. En d'autres
termes, une forme de discrimination syndicale. Un comble.
Une autre a �voqu� les insultes et d�nigrements dont elle a �t� la
cible, comme la modification de ses t�ches de travail sans information.
Dans son jugement, le conseil des prud'hommes de Paris a d'ailleurs
estim� que:
�L'employeur n'apporte aucun �l�ment objectif �tablissant que les
difficult�s auxquelles la salari�e a �t� confront�e (...) avaient une
raison tenant � ses capacit�s professionnelles ou � des difficult�s
techniques.� Des arguments qui avaient �t� avanc�s par la direction du CCE.
Pour sa d�fense, la CGT avait aussi fait valoir qu'elle avait mis en
place une mission d'audit en interne, comme le lui avaient r�clam�
plusieurs salari�s. R�sultat de l'audit: la direction du CCE fut mise
hors de cause. Sauf que la justice a estim� que cette enqu�te �ne repose
sur aucun �l�ment objectif�.
La troisi�me salari�e �harcel�e�, entr�e au CCE il y a plus de vingt
ans, nous a confi� par t�l�phone:
�On entre sans s'en rendre compte dans une machine infernale. Au d�but,
cela commence par des petites mises � l'�cart de r�union, par des
dossiers qui disparaissent, par la demande de r�alisation de t�ches qui
sont en fait irr�alisables. Puis cela s'encha�ne. On ne vous donne plus
de travail. Et on vous insulte. On vous dit de consulter un psy. On vous
d�nigre. Personnellement, mon sup�rieur m'a dit un jour que je n'avais
�pas de cerveau� devant la DRH, qui n'a pas boug�. Tout cela parce que
nous avons os� rejoindre Tous Ensemble. C'est effrayant. Et personne ne
fait rien, ni � l'Inspection du travail ni � la direction de la SNCF,
qui est pourtant au courant.�
Ces cas ne sont pas isol�s.
A Lyon, plusieurs anciens salari�s du CE ont eux aussi gagn� devant les
prud'hommes.
A Tours, une employ�e qui a demand� � voir son salaire align� sur les
minimas conventionnels a d'abord �t� priv�e de mat�riel informatique,
comme le rapporte le magazine Capital dans son �dition de janvier. Puis
son temps de travail a �t� r�duit. Les avertissements ont commenc� � se
multiplier. Jusqu'� ce qu'elle soit licenci�e pour �inaptitudes�. Elle a
gagn� aux prud'hommes.
Au CE Client�les, � Paris, une adjointe de la DRH, qui a eu quant � elle
le malheur de soutenir un ancien �c�g�tiste� parti � la concurrence
(SUD), a subi peu ou prou le m�me sort. Elle a fait condamner son
employeur pour harc�lement moral.
Depuis la cr�ation du syndicat Tous Ensemble en 2003, dix-neuf cadres du
seul CCE de la SNCF ont �t� licenci�s brutalement, selon des t�moignages
internes concordants, et environ la moiti� ont donn� lieu � des actions
en justice. La CGT a men� bataille sur tous les fronts allant jusqu'�
contester devant les tribunaux sa repr�sentativit�. L'affaire est mont�e
jusqu'� la Cour de cassation. En vain pour l'organisation de Bernard
Thibault.
Contact� par Mediapart, le directeur du CCE de la SNCF, Alain Barasz,
n'a pas souhait� faire de commentaires sur le fond des dossiers. Il a
toutefois assur� que la CGT allait faire appel des jugements.